La flotte de 1665 à destination de Québec est composée de douze navires, selon Marie de l’Incarnation. Elle écrit : « Les douze vaisseaux qui sont arrivez, ont pensé périr[1] ».
Cinq navires sont frétés par le roi qui envoie les soldats du régiment de Carignan-Salière[2] pour porter secours aux habitants de la Nouvelle-France, dont un pour le transport de vivres et de marchandises.
Le navire Le Chat (300 tx) est expédié à Québec par le marchand rochelais Alexandre Petit. Il est la propriété d’Albert Cornelis Kadt.
Les préparatifs
J.-F. Bosher[3] a relevé trois documents concernant ce navire : 20 février et 22 avril (notaire Abel Cherbonnier) et 22 mars (notaire Pierre Teuleron). Malheureusement, je ne les ai pas retracés lors de mon dernier séjour à La Rochelle, ni dans les registres, ni dans les liasses de ces notaires.
L’un de ces documents pourrait être le contrat de charte-partie[4] intervenu entre Alexandre Petit et le capitaine Charles Dabin[5] énonçant les conditions de l’expédition du navire Le Chat à Québec.
Dans les premiers mois de 1665, la Compagnie des Indes occidentales s’active à prendre possession de ses territoires et à exercer les droits et privilèges que lui confère son édit d’établissement au Canada. Elle s’oblige même à y faire passer 400 personnes et ce, aux frais du roi[6] ! Pour ce faire, les directeurs de la Compagnie choisissent Mille-Claude Le Barroys, conseiller du roi, secrétaire et interprète en langue portugaise, pour y exercer la fonction d’agent général de la Compagnie.
Entre le 23 mars et le 18 avril, le marchand rochelais Pierre Gaigneur enrôle 68 engagés pour aller travailler soit pour son compte ou autres particuliers à Québec. Dans chacun des contrats d’engagement, le notaire Pierre Teuleron précise qu’ils doivent s’embarquer à la première réquisition sur le navire Le Cat de Hollande, du port de 200 tonneaux.
Le 22 avril, Jean Talon est à La Rochelle. Il écrit au ministre Colbert[7] que sur les 400 hommes de travail que la Compagnie s’est obligée d’enrôler, il en a fait la revue de 150 à bord d’un navire, probablement Le Chat. Comme ce navire doit partir dans deux jours, Talon donne ordre de débarquer 25 hommes à la pointe de Gaspé, sous la conduite du sieur Denys, pour y explorer une mine de plomb.
Le départ
À la marée du matin, le navire Le Chat quitte La Rochelle le 27 avril et arrive à Québec le 18 juin après une traversée de 52 jours. Il est chargé de diverses sortes de marchandises pour le compte de la Compagnie des Îles de l’Amérique !
Le jour du départ, Talon écrit au ministre Colbert qu’il y a 150 hommes de travail à bord du navire. Il a aussi fait entrer à bord, de sa part, un homme pour prendre soin de ces hommes à leur débarquement. Cet homme est chargé d’en faire « la distribution et passer les contrats de l’engagement avec les habitants qui voudront s’en servir pour le terme de trois ans[8]. »
Aussi, Talon écrit avoir fait embarquer le sieur Denys, habitant du Canada, qui s’est chargé de descendre à Gaspé et d’y employer 25 hommes à fouiller dans la mine de plomb. Mais le pilote ne l’entend pas ainsi ! Pierre Bertrand se défend d’entrer dans la baie de Gaspé pour mettre à terre le sieur Denys parce que, par son traité, il n’y est pas obligé; il craint que les vents ne soient contraires à sa sortie. Mais Talon est persuadé qu’il peut faire ce débarquement sans aucun inconvénient. Il écrit « je lui ai fait entendre qu’il n’entrerait que supposé qu’il le puisse sans le dépérissement ou le retardement de son vaisseau. »
De l’équipage, au nombre de 20, nous connaissons :
- Charles Dabin, maître
- Pierre Bertrand, pilote
- Jacques Legoil, contremaître
Des passagers, au nombre de 180, nous connaissons :
- Mille-Claude Le Barroys, agent général de la Compagnie des Indes occidentales
- Nicolas Denys
- Guillaume Malortie[9]
- les 66 engagés levés par Pierre Gaigneur
Les engagés (66) levés par Pierre Gaigneur : | |
Pour Gaigneur ou autres particuliers, de Québec | Jean Bertin |
Guillaume Bertrand | |
Jacques Bessonnet | |
René Binet | |
Jean Blanchard | |
Louis Bonnet | |
Alexis Buet | |
Jacques Bourdin | |
Nicolas Bustort | |
Pierre Caillonneau | |
Jacques Chevalier | |
Martin Chevalier | |
Jacques Courtel | |
Jacques Crépeau | |
Antoine Delafosse | |
Laurent Dron | |
Gilles Duray | |
Pierre Elbert | |
François Fortage | |
Pierre François | |
Gilles Gadiou | |
Gilles Gautreau | |
Pierre Genaudeau | |
Jean Grenet | |
Mathieu Laurandin | |
Pierre Louineau | |
Pierre Mercereau | |
Pierre Mercier | |
Antoine Merit | |
Pierre Métayer | |
Mathurin Motel | |
Pierre Neveu | |
René Orzeau | |
Nicolas Pion | |
Nicolas Ragueneau | |
Étienne Renaud | |
Jacques Restie | |
René Rezeau | |
Étienne Richaudeau | |
Jacques Rifort | |
Jacques Rousseau | |
Bastien Roy | |
Marc Tessier | |
François Thibault | |
Simon Trillaud | |
Nicolas Villeneau | |
Mathurin Villeneuve | |
Pour Jean Grignon, marchand, de Québec | Julien Allard |
Jacques Boisson | |
Simon Gendron | |
Jean Guillet | |
Pour les Hospitalières de Québec | Pierre Allenet |
Simon Lasalle | |
Pour les Jésuites de Québec | Jean Caillon |
Pierre Caillon | |
Denis Gentil | |
Jacques Roche | |
Pour Eustache Lambert, de Québec | Jacques Boussot |
Jacques Damien | |
Pour Thierry de Lettre, sieur Le Vallon, de Québec | Jean Roy |
Pour Jacques Loyer, sieur de Latour, de Québec | Guillaume Canat |
Pierre Martin | |
Pour Étienne Racine, de Québec | Louis Palardy |
Pour Pierre Soumande, de Québec | Pierre Pasquier |
Pour les Ursulines de Québec | André Fouquet |
René Giraudet |
Sur les douze navires, onze sont identifiés. Neuf navires partent de La Rochelle et deux de Normandie. Ils sont :
- L’Aigle d’Or (300 tx), de La Rochelle (capitaine de Villepars), frété par le roi;
- Le Chat (300 tx), de La Rochelle (capitaine Charles Dabin), frété par la Alexandre Petit;
- Le Jardin de Hollande (300 tx), de La Rochelle (capitaine Desbouiges), frété par le roi;
- La Justice (400 tx), de La Rochelle (capitaine Pierre Guillet), frété par le roi;
- La Marie-Thérèse, du Havre (capitaine Guillaume ou Jean Poulet);
- L’Orange (250 tx), de La Rochelle;
- La Paix (300 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Guillon), frété par le roi;
- Le Saint-Jean-Baptiste (300 tx), de Dieppe (capitaine Pierre Fillye);
- Le Saint-Philippe (150 tx), de La Rochelle;
- Le Saint-Sébastien (250 tx), de La Rochelle (capitaine DuPas de Jeu), frété par le roi;
- Le Vieux Siméon (200 tx), de La Rochelle (capitaine Simon Douwen), frété par Pierre Gaigneur.
Le jour de son arrivée (18 juin), le capitaine Dabin se présente devant le Conseil souverain, à Québec[10]. Il expose trois documents qu’il a entre ses mains :
- un congé (en parchemin) de Monseigneur le duc de Vendôme, amiral de France, du 25 avril;
- une copie de la procuration que lui a faite Alexandre Petit devant le notaire rochelais Jean Langlois, du 25 avril;
- un ordre de Monseigneur de Tracy, non signé, du 9 juin, obligeant Dabin à livrer à Le Barroys toutes les marchandises et hommes et tout ce qui est à bord du navire Le Chat.
Le même jour, Le Barroys somme Dabin de lui livrer toutes les marchandises qu’il pourraient avoir à son bord et lui donner une déclaration spécifique de toutes les autres marchandises qui pourraient être chargées par toutes autres personnes. Le lendemain, le Conseil souverain émet un arrêt permettant au capitaine Dabin d’exécuter les ordres de Tracy[11].
Le retour
Le navire de Petit demeure à Québec pendant quelques 48 jours, tant pour décharger les marchandises que pour recharger d’autres pour le retour.
Le navire lève l’ancre pour la France, le lundi 3 août, avec cinq passagers à son bord. Il arrive à La Rochelle le 11 septembre suivant « sans avoir fait aucune mauvaise rencontre à la mer ».
Le lendemain, Charles Dabin (capitaine), Pierre Bertrand (pilote) et Jacques Legoil (contremaître) se présentent devant l’Amirauté de La Rochelle pour faire état des événements survenus pendant le voyage. Ils déclarent que deux passagers sont morts pendant l’aller : les engagés Guillaume Canat, de Sigournais, et Étienne Renaude, meunier, de Villefagnan. Tous signent leur déclaration.
Le rapport de voyage du navire Le Chat ne mentionne pas d’escale à Dieppe (pour prendre des passagers), ni de débarquement à Gaspé, tel que souhaité par Talon.
Cette prétendue escale à Dieppe, comme il est rapporté à quelques reprises sur le web, vient probablement d’un passage que Talon écrit dans sa lettre au ministre, du 22 avril 1665, à l’effet d’avoir invité les directeurs de la Compagnie des Indes occidentales à faire passer les surnuméraires et les quelques 10 à 12 filles « croyant que peut-être [aussi] les 250 qui doivent être embarqués à Dieppe » pour faire les 400 passagers promis par la Compagnie.
Le navire ne peut pas avoir fait d’escale à Dieppe pour y embarquer 250 personnes, car il compte 180 passagers à son bord, tel que déclaré devant l’Amirauté. Les passagers de Dieppe se sont probablement embarqués sur le navire Le Saint-Jean-Baptiste (300 tx)[12].
Les destinations de Dieppe et Gaspé n’étant que des propositions évoquées par Jean Talon.
[1] Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, Montréal, Éditions Fides, vol. IV : La seigneurie de la Compagnie des Indes occidentales 1663-1674, 1997, p. 236.
[2] Voir aussi : Michel Langlois, Carignan-Salière 1665-1668, Drummondville, La Maison des ancêtres, 2004, 517p.
[3] J. F. Bosher, Négociants et navires du commerce avec le Canada de 1660 à 1760 : dictionnaire biographique, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1992, p. 144.
[4] Une charte-partie est un acte constituant un contrat conclu de gré à gré entre un fréteur et un affréteur, dans lequel le fréteur met à disposition de l’affréteur un navire. Le nom vient de ce que le document était établi en deux exemplaires que l’on découpait par le milieu pour en remettre deux moitiés à chaque partie. Mémoire d’un port. La Rochelle et l’Atlantique XVIe-XIXe siècle. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle, 1985, p. 25.
[5] Charles Dabin était pilote de la barque Le Petit-François, en 1655, lorsqu’elle a été prise par les Espagnols.
[6] Lionel La Berge, Rouen et le commerce du Canada de 1650 à 1670, L’Ange-Gardien, Éditions Bois-Lotinville, 1972, p. 117.
[7] Lettre de Talon au ministre. 22 avril 1665. Archives nationales d’outre-mer (France). COL C11A 2/fol. 124-125.
[8] Lettre de Talon au ministre. 27 avril 1665. Archives nationales d’outre-mer (France). COL C11A 2/fol. 127-128v.
[9] Il est demeuré à Québec pour le service de la Compagnie.
[10] BAnQ. Fonds Conseil souverain. Jugements et délibérations. Registre 1, fol. 48. TP1, S28, P423.
[11] BAnQ. Fonds Conseil souverain. Jugements et délibérations. Registre 1, fol. 48. TP1, S28, P424.
[12] Le navire Le Saint-Jean-Baptiste, de Dieppe, arrive à Québec, le 2 octobre, avec à son bord 130 hommes de travail et 82 filles et femmes.