384 – L’expédition du navire La Providence pour Québec en 1692

La flotte de 1692 à destination de Québec est composée d’au moins quinze navires connus : douze de La Rochelle (La Providence, La Sainte-Anne, La Ville de Bordeaux, L’Aimable, Le Neptune, Le Pontchartrain, Le Roi David, Le Saint-Jacob, Le Saint-Joseph, L’Élizabeth, Les Armes de la Compagnie et L’Honoré), deux de Rochefort (Le Poly et L’Envieux) et un d’un lieu de départ inconnu (Le Tranquille). expédition_blogue

Le navire La Providence (130 tx) est la propriété du notaire royal rochelais Nicolas Grozé.

Les préparatifs

Malheureusement, aucun document n’a été retracé concernant l’affrètement de ce navire pour Québec en 1692.

Propriétaire des navires La Ville de Bordeaux et La Providence, Nicolas Grozé a l’intention de les charger de vivres et de munitions pour le roi et de marchandises pour divers particuliers pour les porter au Canada. Il obtient deux congés (passeports), donnés le 5 mai par le roi, pour le commandement de ses navires : Nicolas Blacteau (La Ville de Bordeaux) et Jean Delalande (La Providence).

Extrait. Requête de Nicolas Grozé pour le changement de capitaines des navires La Ville de Bordeaux et La Providence pour un voyage au Canada. 7 juin 1692.
(Source : AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5688, fol. 155-156 (anciennement pièce 93).

Le 31 mai[1], un certificat de Massiot, commissaire ordinaire de la marine, atteste que, par ordre du roi, Nicolas Blacteau a été embarqué sur le navire du roi L’Envieux. Il faut donc le remplacer. Le 7 juin suivant[2], Nicolas Grozé requiert devant le juge de l’Amirauté de La Rochelle qu’on procède au changement de capitaines, à la suite de nouveaux congés émis le 3 juin. Ainsi, c’est Jean Delalande qui va commander La Ville de Bordeaux et le maître de navire Jean Tesseron[3], d’Olonne, va conduire La Providence.

Le 5 mai auparavant, un traité était conclu entre Grozé et Denis Riverin prévoyant que les navires La Ville de Bordeaux et La Providence amèneront du sel à son poste de Mont-Louis (Gaspésie) et qu’ils repartiront avec tous les poissons verts et secs ainsi que les huiles provenant de la pêche qu’il aura faite.

Par la suite, quelques connaissements[4] sont rédigés entre le capitaine Jean Tesseron et divers particuliers pour charger leurs marchandises sur le navire La Providence :

  • le 25 mai avec Jean Jung et son oncle Jean Jung de Saint-Laurent, marchands de Bordeaux;
  • le 5 juin avec la dame Defaÿ pour le compte de Raymond Dubosc, marchandises marquées DR;
  • le 6 juin avec Antoine Pascaud, marchand de Montréal.

De l’équipage, nous connaissons :

  • Jean Tesseron (32 ans), capitaine d’Olonne
  • François Lesselin (25 ans), pilote, d’Olonne
  • Jean Roman (25 ans), chirurgien, de Castillon
  • Pierre Massé (45 ans), contremaître, de La Rochelle
  • Paul Chevalier (47 ans), maître charpentier, de La Rochelle
  • Pierre Veronneau (20 ans), second charpentier, de La Rochelle
  • Étienne George (24 ans), tonnelier, de La Rochelle
  • Pierre Bardin (25 ans), matelot, d’Olonne
  • Nicolas Beaufils (20 ans), matelot, de Saint-Martin
  • André Bourget (26 ans), matelot, d’Olonne
  • Gabriel Bouyer (25 ans), matelot, de Saint-Martin
  • Jacques Carteau (27 ans), matelot, d’Olonne
  • Dominique de la Reparde (26 ans), matelot, de Biarritz
  • Simon Depeau (25 ans), de Liège
  • Jean Dupuis (21 ans), matelot, d’Ars
  • Pierre Martin (28 ans), matelot, d’Arcachon
  • Jacques Massé (24 ans), matelot, de Marsilly
  • Mathurin Massé (20 ans), matelot, de Saint-Martin
  • Vincent Massé (21 ans), matelot, de Bordeaux
  • Jean Parere (20 ans), matelot, d’Olonne
  • Pierre Bricon (19 ans), garçon, de Bordeaux
  • Mathieu Brizard (15 ans), garçon, d’Ars
  • Pierre Castagne (27 ans), garçon, de Bordeaux
  • Pierre Nicolas (28 ans), garçon d’Olonne
  • Claude Saint-Paul (20 ans), garçon, de Dauserné

Sur les quinze navires de 1692 à destination de Québec, douze partent de La Rochelle et deux de Rochefort. Ils sont :

  • La Providence (130 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Tesseron), frétée par Nicolas Grozé;
  • La Sainte-Anne (150 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Lagrange);
  • La Ville de Bordeaux (120-180 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Delalande), frétée par Nicolas Grozé;
  • L’Aimable (80 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Germen), frété par Jacques Bernon de Bernonville;
  • Le Neptune (140-150 tx), de La Rochelle (capitaine Pierre Chevalier), frété par Abraham Mouchard, François Pachot et Paul Depont le jeune;
  • Le Poly, de Rochefort (capitaine Pierre Lemoyne d’Iberville), frété par le Roi;
  • Le Pontchartrain (150-200 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Javeleau), frété par Samuel Bernon;
  • Le Roi David (80 tx), de La Rochelle (capitaine Toussaint Métifeu), frété par Jean Blaise Busquet;
  • Le Saint-Jacob (200 tx), de La Rochelle (capitaine Jacques Vivien), frété par Jean Gitton;
  • Le Saint-Joseph (250 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Couillaudeau), frété par Louis Leber de Saint-Paul;
  • Le Tranquille (capitaine Charles Chaviteau), frété par le Roi;
  • L’Élizabeth (100 tx), de La Rochelle (capitaine François Audière);
  • L’Envieux, de Rochefort (capitaine Simon-Pierre Denys de Bonaventure), frété par le Roi;
  • Les Armes de la Compagnie (100 tx), de La Rochelle (capitaine Charles François), frété par Jean Gitton pour la Compagnie du Canada;
  • L’Honoré (180 tx), de La Rochelle (capitaine Jacques Rasteau), frété par Jean Grignon.
Caractéristiques des navires composant la flotte de 1692 à destination de Québec. (Source : Collection Guy Perron)

Le départ

Le navire La Providence (130 tx) quitte la rade de Chef-de-Baie, près de La Rochelle, le dimanche 22 juin pour aller à Québec. Il fait voile en compagnie des navires La Ville de Bordeaux et Le Saint-Jacob et arrive le 21 septembre suivant.

Extrait. Carte de l’Océan Atlantique / Lattri. 17.. Légende : La Rochelle (A), Île Saint-Michel (B), Les Açores (C) et Québec (D). (Source : BNF, département Cartes et plans, GE SH 18 PF 117 P 11 D.)

À environ 300 lieues de la mère patrie, vers l’Île de Saint-Michel (aujourd’hui São Miguel), le navire La Providence prend l’eau, huit jours après avoir abandonné le navire La Ville de Bordeaux coulé aux Îles des Açores où une partie de l’équipage et des passagers du navire naufragé s’est embarquée dans La Providence, l’autre partie dans Le Saint-Jacob. Pendant sept à huit jours, on « pompe à la main » continuellement, si bien que deux pompes sont nécessaires pour limiter les dégâts.

Sans l’aide des membres de l’équipage de La Ville de Bordeaux, le navire La Providence serait infailliblement perdu. Même les passagers participent à l’opération pompage jusqu’à l’arrivée du navire à  Québec.

La décharge des marchandises se fait avec toute la diligence possible malgré que le navire prenne de plus en plus d’eau. Ne pouvant plus soutenir la pompe et ayant suffisamment de marchandises (vin, eau-de-vie, vinaigre, sel, etc.) pour soutenir le navire et servir de lest, le capitaine Tesseron doit le conduire au cul-de-sac de Québec pour l’échoir et examiner les réparations à faire. Le cul-de-sac est le seul endroit où l’on puisse mettre un navire à couvert (protégé).

Extrait. Plan de la ville de Québec… 1693. Robert de Villeneuve
Le cul-de-sac où l’on échoue les navires.
(Source : BAC en ligne. Cartes et documents cartographiques. V1/340/Québec/1693)

Pendant la nuit du 30 septembre au 1er octobre, on ne cesse de pomper l’eau. Et dans ce rejet d’eau, on s’aperçois qu’il y a quantité de vin, d’eau-de-vie et de sel. Tous les charpentiers de navire qui sont à la rade de Québec, même les charpentiers et cafardeurs, sont appelés pour travailler aux réparations du navire La Providence. Malheureusement, après quatre à cinq jours, les travaux sont inutiles puisque le navire ne peut se relever du lieu où il est tombé. Ce qui ne fait pas l’affaire de certains particuliers.

Le 1er octobre, le marchand Antoine Pascaud, de Montréal, requiert devant la Prévôté de Québec que des experts soient nommés pour estimer les marchandises qu’il a fait charger dans le navire. Deux jours plus tard[5], une sentence ordonne à Jean Tesseron de nommer des experts en ce sens.

D’autres particuliers se présentent devant le notaire Louis Chambalon dans l’après-midi du 3 octobre. Épouse de Raymond Dubosc, marchand de Québec, Michelle Mars abandonne au profit des assureurs du navire La Providence deux barriques de marchandises sèches et une demie barrique de sucre (connaissement du 5 juin 1692).

Puis, c’est au tour de Denis Riverin, marchand de Québec, qui somme Jean Tesseron de lui rendre un cent de sel et de lui rembourser la moitié des sommes versées en nourriture et en salaires aux pêcheurs amenés au Mont-Louis ainsi que la moitié des frais encourus par l’achat de sel et des vivres dont ils ont eu besoin (traité du 5 mai).

Enfin, les marchands bordelais Jean Jung et Jean Jung de Saint-Laurent protestent de toutes pertes de leurs marchandises contre Jean Tesseron (connaissement du 25 mai), soit dix-huit tonneaux deux barriques de vin de Bordeaux, cinq tonneaux d’eau-de-vie, quatre tierçons de vinaigre, une barrique de prunes, une barrique de verre, une demie barrique de lard, un baril de graisse et un baril d’huile d’olive.

Voulant profiter de la marée basse, sur les six heures du soir du 3 octobre[6], les officiers du navire La Providence demandent que leur navire soit visité pour en constater les dommages. En présence de l’intendant Bochart de Champigny, sont requis en assemblée le capitaine Charles Chaviteau, le maître Salomon Benesteau et le pilote Pierre Tadourneau, du navire du roi Le Tranquille, Jean Javeleau, capitaine du navire Le Pontchartrain, Jean Delalande capitaine du navire naufragé La Ville de Bordeaux, le maître charpentier pour le roi John Outlan, le marchand Michel Lepailleur et Louis Dany, passager sur le navire La Providence

Signatures des officiers du navire La Providence et des personnes assemblées (1692).

Le navire étant renversé sur le côté de tribord, ils attestent qu’il est entièrement perdu et incapable de se relever ayant la quille arquée, plusieurs bordages de son fond sont brisés par le milieu et fendus tout du long. Toutes les empatures et ponts sont largués, l’étambot cassé par le milieu. Le navire est entrouvert de telle sorte que les chevilles entrent et sortent facilement.

Devant Chambalon, le 4 octobre, le marchand rochelais Jacques Defaÿ abandonne ses marchandises au profit des assureurs du navire.

Les 5, 6 et 7 octobre, on enquête sur les marchandises appartenant à Pascaud, les Jung et Defaÿ. Après enquête, procès-verbal de visite et sentence, à son tour le 15 octobre devant Chambalon, le marchand Pascaud abandonne ses marchandises (liqueurs, etc.) au profit des assureurs du navire.

Un arrêt du Conseil souverain, du 4 novembre[7], ordonne qu’une enquête soit faite de l’état du navire La Providence à son arrivée à Québec, que les passagers soient entendus pour connaître l’état du navire pendant le voyage et s’il était d’une « pressante nécessité » de l’échouer alors qu’il était encore chargé de marchandises.

Le 10 novembre[8], le Conseil souverain met à néant les prétentions d’Antoine Pascaud, les Jung et Jacques Defaÿ au profit de Jean Tesseron.

Le retour

Le capitaine Tesseron déclare que des armes ont été embarquées sur le navire Le Tranquille pour le retour en France : dix fusils boucaniers, quatre autres fusils ou mousquetons, vingt coutelas et une caisse pour tambour. Ces armes et caisse sont retirées à Rochefort par Nicolas Grozé comme il paraît par sa lettre au sieur Ducas, du 26 novembre.

Malheureusement, aucun document n’a été retracé dans le fonds Amirauté de La Rochelle faisant état des événements survenus pendant le voyage du navire La Providence (130 tx) à Québec en 1692.

Les assureurs

Le 4 mars 1693[9], les assureurs du navire La Providence donnent une procuration au marchand rochelais Jacques Cartier de recevoir le montant de ce qui a été sauvé du navire naufragé au cul-de-sac à Québec à l’automne 1692. Cette procuration obtient le consentement de Grozé le 5 mai suivant.

Ces assureurs sont : Charles de Hegny, marchand bourgeois de Bayonne, Louis Bigot, conseiller du roi et receveur des droits annuels à Bordeaux, et les bourgeois et négociants de Bordeaux Jérôme Marcadé, Antoine Brousse, Jean Viau, François Hacquaert, Martin Gruault, Joseph Gonsalles, André Dallenot, Thomas Louis, Pierre Roux et Jean de Berbeder.

Une seconde procuration est donnée à Cartier, le 28 mars, par Charles de Hegny, bourgeois et marchand de Bayonne, gros aventurier de la somme de 1 000lt sur le navire La Providence.

Le 28 octobre, muni de ses deux procurations, Cartier se présente devant le notaire Chambalon pour donner quittance à Denis Riverin, marchand bourgeois de Québec, au nom et comme chargé de la vente et recouvrement du navire La Providence.

Ainsi, la vente du navire et de ses agrès et apparaux s’est montée à la somme de 5 234lt 7s 3d (3931lt 15s 6d monnaie de France), par ordonnance de la Prévôté de Québec du 14 octobre 1692, restant de celle de 6 480lt 6s 7d.

Quittance de Jacques Cartier à Denis Riverin

 

Monnaie de France

Monnaie du Canada

Somme due

 

6 480lt 6s 7d

Vente du navire La Providence, agrès et apparaux

3 931lt 15s 6d

5 234lt 7s 3d

Commission de Riverin

 

388lt 15s

État de dépenses et autres frais

857lt 4s 4d

Erreur de calcul

217lt 2s 9d

 

Total

4 148lt 18s 3d

En fin de compte, Jacques Cartier donne une quittance à Denis Riverin de la somme de 4 148lt 18s 3d et le décharge de tous autres papiers.


Pour citer cet article

Guy Perron©2024, « L’expédition du navire La Providence pour Québec en 1692 », Le blogue de Guy Perron, publié le 18 février 2024.


[1] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5688, fol. 157 (anciennement pièce 94). 31 mai 1692.

[2] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5688, fol. 155-156 (anciennement pièce 93). 7 juin 1692.

[3] Jean Tesseron, d’Olonne, a reçu sa lettre de réception de maîtrise de maître de navire le 4 juin 1690.

[4] Déclaration contenant un état des marchandises chargées sur un navire, le nom de ceux à qui elles appartiennent, l’indication des lieux où on les porte, et le prix du fret. Tous les connaissements sont signés par le capitaine et par l’armateur.

[5] BAnQ en ligne. Fonds Prévôté de Québec. 03Q,TL1,S11,SS1,D30. Registre civil no 30, fol. 60. 3 octobre 1692.

[6] BAnQ en ligne. Notaire Louis Chambalon. 3 octobre 1692.

[7] BAnQ en ligne. Jugements et délibérations du Conseil souverain. 03Q,TP1,S28,P4215. 4 novembre 1692.

[8] BAnQ en ligne. Jugements et délibérations du Conseil souverain. 03Q,TP1,S28,P4217. 10 novembre 1692.

[9] Notaire Loste à Bordeaux. 4 mars 1693.

3 réflexions sur “384 – L’expédition du navire La Providence pour Québec en 1692

  1. Mario Legendre

    Bonjour très intéressant vos informations concernant cette expédition de France à la Nouvelle-France de 1692 .Croyez-vous qu’il serait possible de trouvé les passsger ou les membres d’équipage d’un navir arrivé dans la régions de Québec vers 1718. Je recherche le bateau qu’aurait pris JEAN-Baptistie Legendre qui y est arrivé de France vers ces années la . Nous ne connaissons pas exactement les circonstances de son arrivée dans la région de Québec.

    Cordialement
    Mario Legendre

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