38 – L’expédition du navire L’Ange Blanc pour le Canada en 1664

Deux des trois navires constituant la flotte de 1664 à destination de Québec sont frétés par des compagnies commerciales : Le Noir de Hollande (200 tx) par la Compagnie de Rouen et Le Saint-Jean-Baptiste (300 tx) par la Compagnie des Indes[1].

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Le troisième, le navire L’Ange Blanc (180 tx), est affrété par le marchand rochelais Pierre Gaigneur (1625-1692).

Les préparatifs

C’est dans l’après-midi du 11 février 1664 que se sont donnés rendez-vous Jean Huissen et Pierre Gaigneur dans l’étude du notaire Pierre Teuleron, située au 12 rue Chef-de-ville à La Rochelle[2].

Aujourd’hui, un restaurant occupe l’emplacement du 12, rue Chef-de-Ville à La Rochelle.

12, rue Chef-de-Ville à La Rochelle. (Source : Google Stret View)
12, rue Chef-de-Ville à La Rochelle.
(Source : Google Stret View)

Maître après Dieu du navire L’Ange Blanc, 180 tonneaux, de Flessingue (Hollande), Jean Huissen loue et affrète son navire au marchand rochelais Pierre Gaigneur, résidant rue de l’Escale dans la paroisse Saint-Barthelémy[3]. Mouillant à La Palice, près de La Rochelle, le navire est muni et équipé de tous les apparaux servant à la navigation. Comme Huissen ne parle pas français, c’est David Decourt, marchand rochelais, qui lui sert d’interprète.

Il ne faut pas confondre le navire L’Ange Blanc (180 tx) avec la frégate L’Aigle Blanc (80 à 100 tx), propriété de François Peron, qui est aux Antilles en février 1664[4].

Charte-partie de Jean Huissen à Pierre Gaigneur. 11 février 1664. (Source : AD17. Greffe Pierre Teuleron. 3 E 1302. Registre)
Charte-partie de Jean Huissen à Pierre Gaigneur. 11 février 1664.
(Source : AD17. Notaire Pierre Teuleron. Registre 3 E 1302)

Le contrat de charte-partie[5] stipule que, dès le 1er avril, Gaigneur pourra mettre le maître et les hommes d’équipage qu’il voudra sur le navire dans lequel il chargera les marchandises et victuailles « pour l’accomplissement du voyage qu’il espère faire faire audit navire au pais du Canada ». Là-bas, il les déchargera et en rechargera d’autres pour son retour à La Rochelle.

L’affrètement du navire L’Ange Blanc est fait pour la somme de 800 livres par mois, assuré pour six mois. De plus, Gaigneur accorde 100 livres à Huissen pour ses chausses et pot de vin !

Il est aussi écrit que, pendant le voyage, le maître (Huissen ?) et son fils feront leur logement dans la dunette[6] et seront nourris aux dépens de Gaigneur de même que son contremaître qui aura 20 livres de gages par mois. Le maître flamand aura la liberté de mettre dans le navire trois tonneaux de portage pour l’aller et le profit de ceux-ci pour le retour.

Le départ

La flotte de 1664 pour Québec est composée de trois navires dont deux partent de La Rochelle et l’autre de Dieppe. Ces trois navires amènent 300 engagés[7] :

  • L’Ange Blanc (180 tx), de La Rochelle : 100 hommes;
  • Le Noir de Hollande (200 tx), de Dieppe, puis La Rochelle : 50 hommes;
  • Le Saint-Jean-Baptiste(300 tx), de Dieppe : 150 hommes[8].
Caractéristiques des navires composant la flotte de 1664 à destination de Québec (Source : Collection Guy Perron)
Caractéristiques des navires composant la flotte de 1664 à destination de Québec
(Source : Collection Guy Perron)

Commandé par le capitaine André Chaviteau[9], le navire L’Ange Blanc quitte La Rochelle, probablement en avril, et arrive à Québec le 29 juin avec l’ardoise des Jésuites[10]. Le navire transporte aussi du vin de Bordeaux et une barrique de plomb appartenant au marchand rochelais Alexandre Petit qui est à Québec. Pierre Gaigneur est à bord du navire… pour affaires !

Parmi les passagers, notons la présence du chirurgien Jean Cadet, de Parthenay, qui s’est engagé pour servir le sieur de Boispeau, commandant de l’habitation de Canseau en Acadie[11]. Cet engagement nous fait croire que L’Ange Blanc a peut-être fait escale en Acadie avant d’arriver à Québec.

Dès le 8 juillet, par ordre du Conseil Souverain, comme tous les marchands, Gaigneur doit faire débarquer le sel de son navire pour être vendu et distribué au prix taxé par le tarif, soit à 15 livres la barrique[12]. Le même jour, mainlevée est donnée à Gaigneur de la saisie faite sur ses effets entre les mains du sieur de la Ferté à la requête de Jacques De Lamothe, marchand, au nom de Bion et Papin, aussi marchands. Ordre lui est donné de fournir à De Lamothe des effets suffisants au paiement de la somme de 4 844 livres restante de celle de 21 330 livres[13] !

Le 2 août, veuve de Jacques Testard dit Laforest, Marie Pournin est condamné à payer le fret de huit barriques (trois tonneaux de marchandises) sur les neuf barriques réclamées à Pierre Gaigneur qu’elle voulait expédier dans son navire pour Montréal[14].

La semaine suivante, Gaigneur réclame 47 livres 12 sols à François Guyon, tant pour lui que pour ses frères et sœurs[15]. Le même jour, Charles Roger est condamné à lui payer la somme de 508 livres[16].

Voulant charger des marchandises à bord du navire L’Ange Blanc, les marchands Jacques De Lamothe et Jean Gitton essuient un refus total de Gaigneur !  Ce dernier explique qu’il ne peut leur donner aucun fret à bord sans accord de gré à gré et qu’il ne peut être forcé de passer de telles marchandises. Gaigneur poursuit : « S’il était contraint par le Conseil d’embarquer leurs effets en son navire que quand il serait parti qu’il les débarquerait à terre à l’île d’Orléans ou ailleurs » ! Le Conseil condamne Gaigneur de charger dans son navire les effets dont De Lamothe et Gitton voudront faire retour en France en lui payant le fret raisonnable. Jean Gitton demande à Gaigneur de se rétracter de ce qu’il vient de dire : qu’il jettera à la mer les marchandises qu’il embarquera en son navire[17] !

Le 16 août, un arrêt du Conseil ordonne qu’il soit vu et visité par Jean Gloria, la quantité de 97 livres et 10 onces de castor gras. Si ce castor est estimé « gras », Alexandre Petit sera condamné à le prendre en paiement de ce qui lui est dû par Claude Charron, bourgeois de Québec, et le remettre par la suite en paiement de ce qu’il doit à Gaigneur[18].

Par la suite, Gaigneur est débouté de sa demande à l’effet que Michel Fillion et Marguerite Aubert, son épouse, soient condamnés à lui payer la somme de 125 livres[19] et  il doit payer à Gilles Thibault deux barriques d’eau de vie qu’il a fait embarquer avec d’autres en son bord mais qu’il a disposé sans son consentement[20]. Le 23 août, Fillion est condamné à lui payer 55 livres pour une barrique de vin[21].

Une semaine avant son départ, Pierre Gaigneur est de nouveau devant le Conseil Souverain. Il demande de voir le tierçon[22] de vin qui est dans la cave d’Alexandre Petit pour savoir s’il est marqué « A.G. », la marque de son beau-père (Antoine Grignon) et si tel est le cas, qu’il lui soit rendu. Le marchand Petit est prêt à lui faire voir toutes les futailles qu’il a encore et de donner un état de tous ceux auxquels il a vendu des liqueurs. Incidemment, Petit demande à Gaigneur de lui payer ou livrer une demie barrique de vin de Bordeaux et un baril de plomb (pesant 350 livres) restant à lui livrer de ce qu’il avait chargé dans son navire. Selon Petit, le baril de plomb aurait tombé « hors de bord » lors du déchargement et ce, par la faute de son équipage. Gaigneur réplique qu’il n’a jamais pris pour compte les marchandises de Petit, que l’estimation pour le fret n’a été faite qu’à Québec et qu’il ne lui reste rien à décharger appartenant à Petit[23].

Le 27 août, étant sur son départ, Pierre Gaigneur reproche au Conseil qu’il aurait une perte à faire passer en France des personnes qui se présenteront à lui à raison de 30 livres chacune. Le Conseil ordonne qu’il lui soit payé la somme de 33 livres pour chaque passage[24]. Le même jour, il demande au Conseil d’être payé de la somme de 547 livres restante d’un prêt qu’il a fait à la Communauté [des Habitants] du temps de Monsieur d’Avaugour[25]. Le Conseil ordonne que l’adjudicataire des droits des pelleteries lui rembourse ladite somme sur les premiers effets de la Communauté après les charges indispensables de l’année 1665 et des billets délivrés[26].

Le retour

Le samedi 30 août, L’Ange Blanc est le deuxième navire à quitter Québec avec à son bord Louis Rouer de Villeray, Nicolas Gaudais, sieur du Chartran, le sieur Le Chevalier et autres[27].

***

La rue de l’Ange-Blanc à Québec

Dans le cadre de l’harmonisation des noms de rue, la ville de Québec changea le nom de la rue d’Alma pour rue de l’Ange-Blanc le 6 février 2006[27]8.

Rue de l'Ange Blanc
(Source : Commission de toponymie du Québec)

« L’Ange Blanc est le nom d’un navire marchand de Flessingue, en Hollande, qui mouille à Québec le 29 juin 1664 après avoir fait escale à Canseau, en Acadie. Affrété par le marchand français Pierre Gaigneur, le navire est parti de La Rochelle, en France, avec à son bord des engagés. Il quitte Québec le 30 août suivant ».

La rue de l’Ange-Blanc est située dans le quartier Des Châtelets de l’arrondissement La Haute-Saint-Charles à Québec. (Source : Ville de Québec)
La rue de l’Ange-Blanc est située dans le quartier Des Châtelets de l’arrondissement La Haute-Saint-Charles à Québec.
(Source : Ville de Québec)

 


[1] Navires venus en Nouvelle-France (http://www.naviresnouvellefrance.net/html/page1664.html#pages1664).
[2] AD17. Notaire Pierre Teuleron. Registre 3 E 1302 (11 février 1664).
[3] J. F. Bosher, Négociants et navires du commerce avec le Canada de 1660 à 1760 : dictionnaire biographique, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1992, p.72.
[4] Guy Perron, François Peron (1615-1665) : marchand-engagiste, bourgeois et avitailleur de La Rochelle, Sainte-Julie, Éditions du Subrécargue, 1998, p. 239-247.
[5] Une charte-partie est un acte constituant un contrat conclu de gré à gré entre un fréteur et un affréteur, dans lequel le fréteur met à disposition de l’affréteur un  navire. Le nom vient de ce que le document était établi en deux exemplaires que l’on découpait par le milieu pour en remettre deux moitiés à chaque partie. Mémoire d’un port. La Rochelle et l’Atlantique XVIe-XIXe siècle. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle, 1985, p. 25.
[6] Construction élevée sur le gaillard d’arrière de certains navires pour y loger des officiers, et principalement le commandant.
[7] De ce nombre, « il mourut bien cent personnes du débarquement », selon Mère Marie de l’Incarnation. Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, tome IV, La seigneurie de la Compagnie des Indes occidentales 1663-1674, Montréal, Éditions Fides, 1997, p. 58.
[8] Une grande partie de ces travailleurs provenaient de Normandie, du nord de la France et de la région parisienne, comme le voulait le Mémoire de 1664.
[9] Marcel Delafosse, « La Rochelle et le Canada » dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. IV, no 4, 1951, p. 496.
[10] Abbés Laverdière et Casgrain, Le journal des Jésuites, Québec, Léger Brousseau éditeur, 1871, p. 327.
[11] Gabriel Debien, « Engagés pour le Canada au XVIIe siècle vus de La Rochelle » dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. VI, no 3, 1952, p. 393.
[12] Jugements et délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle-France, Québec, A. Côté et Cie, vol. 1, 1885, p. 226.
[13] Ibid., p. 227.
[14] Ibid., p. 248-249.
[15] Ibid., p. 253.
[16] Ibid., p. 252-253.
[17] Ibid., p. 258.
[18] Ibid., p. 260.
[19] Ibid., p. 256-257.
[20] Ibid., p. 257.
[21] Ibid., 264-265.
[22] Mesure de liquides qui contient le tiers d’une mesure entière.
[23] Jugements et délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle-France, op. cit., p. 265-266.
[24] Ibid., p. 268.
[25] Pierre Dubois d’Avaugour est gouverneur de la Nouvelle-France de 1661 à 1663.
[26] Jugements et délibérations du Conseil Souverain de la Nouvelle-France, op. cit., p. 270.
[27] Abbés Laverdière et Casgrain, op. cit., p. 328. Le sieur Le Chevalier est probablement le cabaretier Pierre Nolan dit Lechavalier, de Québec.
[28] Répertoire des toponymes de la Ville de Québec.

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