À La Rochelle, au fil des ans, les relations entre les catholiques et les protestants sont fréquemment semées de querelles mineures. Les protestants sont loin de conserver la pleine et entière jouissance de la liberté religieuse que leur garantit la déclaration de 1628[1].
Comme bon nombre de protestants rochelais, Pierre Duteau est inquiet pour sa famille. En 1658, sentant sa fin prochaine (il décède à la fin de l’année), il désire un meilleur avenir pour les siens.
Ainsi, la religion et l’état de santé du paternel ont certainement contribué à l’exil de la famille Duteau.
Famille Douteau (Duteau) de La Rochelle Le dimanche 20 janvier 1602, le pasteur de l’église réformée Jacques Merlin unit Mathurin Douteau et Jeanne Pouvreau dans la salle Saint-Yon (située à l’intérieur du couvent des Augustins) à La Rochelle. De cette union naissent trois enfants : Marie, Pierre et Renée. C’est avec Pierre que le patronyme Douteau change pour celui de Duteau. Pierre Duteau est baptisé le 2 avril 1607 (né le 29 mars) au temple Neuf, sur la place du Château, à La Rochelle. Vers 1632, il épouse Marthe Renaudin, fille de Jean Renaudin, marinier, et de Marie Robineau, baptisée le 28 novembre 1604 dans le temple Neuf. De cette union naissent deux enfants : Pierre et Marie. Marthe décède le 20 septembre 1637, soit quelques jours après le décès de sa fille. Pierre se remarie, vers 1638, avec Jeanne Perrin, fille de David Perrin et de Jeanne Daniel (Danieau), baptisée le 31 mai 1615 dans la salle Saint-Yon. De cette union naissent cinq enfants : Marie, Charles, Pierre, Nicolas et Madeleine. |
Source : Collection Guy Perron |
Portefaix, Pierre Duteau décharge des marchandises de navires provenant du Canada. Il sait que là-bas, on a besoin de main-d’œuvre.
C’est pourquoi il autorise son épouse Jeanne Perrin à convenir de ses conditions d’engagement pour le Canada et ceux de ses enfants. Dans l’après-midi du 16 avril, elle se présente dans l’étude du notaire Pierre Teuleron, rue de la Mocquetterie (aujourd’hui, 12 rue Chef-de-ville) avec ses deux plus jeunes enfants : Madeleine (9 ans) et Charles (16 ans).
Un premier contrat engage Jeanne et la petite Madeleine envers Pierre Denys de La Ronde[2], pour aller servir Jacques Leneuf de La Poterie à Québec « en qualité de servantes » au salaire annuel de 50 livres pour les deux pour une durée de cinq ans.
Le second contrat engage Charles Duteau envers Denys de La Ronde pour aller servir Leneuf de La Poterie « en toutes choses qui lui conviendra » au salaire annuel de 30 livres pour trois années au cours desquelles il sera entretenu de tous les vêtements qu’il aura besoin.
Le lendemain, seule, l’aînée Marie (19 ans) s’engage envers Pierre Denys de La Ronde pour aller le servir à Québec « en qualité de servante » au salaire annuel de 40 livres pour une durée de trois ans.
À noter que Jeanne, Madeleine, Charles et Marie seront nourris pendant leur engagement et les frais de leur passage (aller et retour, s’il y a lieu) seront défrayés soit par Denys de La Ronde ou son beau-père, Leneuf de La Poterie.
Les quatre engagés promettent de s’embarquer dans le navire Le Prince Guillaume (200 tx) à la première réquisition que fera leur engagiste.
Voici le contrat d’engagement entre l’engagiste (Pierre Denys) et les engagés Jeanne Perrin et sa fille Madeleine en 1658.
Conventions Monsieur Denis et Jeanne Perrin et Madeleine Duteau sa fille (graphie contemporaine) |
Par-devant Pierre Teuleron, notaire, tabellion royal et garde-note héréditaire en la ville et gouvernement de La Rochelle. Ont été présents et personnellement établis le sieur Pierre Denys, écuyer, étant de présent en cette ville, faisant pour et au nom de Jacques de La Poterie, aussi écuyer, demeurant à Québec, pays de la Nouvelle-France, dune part; et Jeanne Perrin, femme de Pierre Duteau, portefaix, demeurant en cette ville, de lui bien et suffisamment autorisée pour l’effet des présentes, et Madeleine Duteau, leur fille, âgée de neuf ans ou environ, d’autre part. Entre lesquelles parties a été fait et passé les conventions qui en suivent. C’est à savoir que lesdites Perrin et Duteau, sa fille, promettent, s’obligent et seront tenues de s’embarquer à la première réquisition qui leur en sera faite par ledit sieur Denys dans le navire nommé Le Prince Guillaume, de cette ville, du port de deux cents tonneaux ou environ, duquel est maître [un blanc] Jamin pour aller dans icelui jusqu’audit lieu de Québec, pays de la Nouvelle-France, où étant servir ledit sieur de La Poterie en qualité de servantes, pendant le temps et espace de cinq années prochaines, consécutives, l’une suivant l’autre, sans intervalle de temps, qui commenceront au jour qu’elles arriveront audit pays et finiront à pareil jour icelles révolues. Pour et moyennant la somme de cinquante livres tournois pour chacune desdites années que ledit sieur Denys promet, s’oblige et sera tenu payer ou faire payer audit Québec aux dites Perrin et Duteau par ledit sieur de La Poterie, ainsi que chacune année échera. Et outre, seront nourries pendant ledit temps en la maison dudit sieur de La Poterie qui sera tenu, en outre, de les défrayer des frais du passage allant et retournant. Le tout de ce que dessus, à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Lesdites parties ont obligé à l’entretien tous leurs biens présents et futurs. Et pour l’exécution des présentes, elles ont élu leurs domiciles irrévocables en cette ville, savoir ledit sieur Denys, audit nom, en la maison d’Ozée Jourdain, maître pâtissier, où pend pour enseigne Le Galion et lesdites Perrin et Duteau, sa fille, en la maison de moi notaire royal soussigné pour y recevoir tous actes et exploits de justice requis et nécessaires qui auront telle force et valeur que s’ils étaient faits à leurs propres personnes et domiciles ordinaires. Et sur et outre renonçant & Jugés & Condamnés. Et fait à La Rochelle en l’étude dudit notaire après-midi, le seizième jour d’avril mille six cent cinquante-huit. Présents Jean Rabusson, praticien, et Léonard Heppers, clerc, y demeurant. Ont lesdites Perrin et Duteau, sa fille, déclaré ne savoir signer de ce requis. Signatures. |

(Source : AD17. Notaire Pierre Teuleron. 3E1299, fol. 27v, 28r)
Qui sont ces engagés de 1658 ?
Charles Duteau | Marie Duteau |
Madeleine Duteau | Jeanne Perrin |

(Source : Collection Guy Perron)
Jeanne Perrin et ses enfants Charles, Madeleine et Marie quittent La Rochelle à destination de Québec, probablement à la mi-mai, à bord du navire Le Prince Guillaume (200 tx). Ils disent adieu à Pierre, l’époux, le père, qu’ils ne reverront plus, car il va mourir quelques mois plus tard et sera enterré dans le cimetière de la Villeneuve et du Perrot, le 12 décembre suivant.
Ils arrivent à Québec le 11 juillet à 14 heures.
Il est étonnant de constater que tous les membres de cette famille protestante passent sous le radar de la société catholique de la Nouvelle-France…
Que sont-ils devenus ?
[1] Louis Delmas, L’église réformée de La Rochelle, Toulouse, Société des livres religieux, 1870, p. 203.
[2] Fils de Simon Denys de La Trinité et de Jeanne Dubreuil, de Tours, Pierre Denys de La Ronde est propriétaire terrien et commerçant. Il épouse à Québec, le 23 août 1655, Catherine Leneuf, fille de Jacques Leneuf de La Poterie et de Marguerite Legardeur de Repentigny.
Pour citer cet article
Guy Perron@2019, « Les engagés levés par Pierre Denys de La Ronde pour le Canada en 1658 », Le blogue de Guy Perron, publié le 14 novembre 2019.
Belle histoire à leur sujet. J’aimerais tellement en savoir autant sur mes ancêtres Simon Chambrelan. (Chamberland) et ses parents René Chambrelan et Catherine David. Et savoir si le nom de Chambrelan a comme origine Chambellan,