231 – Les engagés levés pour Québec en 1613

Le 15 novembre 1613, des marchands de Rouen et de Saint-Malo signent un acte de société pour le monopole de la traite dans le Saint-Laurent, à partir de Matane et des deux côtés du fleuve pour une durée de onze années. La nouvelle société prend le nom officiel de Compagnie de Canada[1].

Parmi les associés de cette compagnie, on retrouve des marchands importants[2], comme les Porée, père et fils, Lucas Legendre et Daniel Boyer, qui ont une longue expérience de la traite avec le continent nord-américain.

Le 26 novembre[3], trois engagés se présentent dans l’étude du notaire Noël Le Semelier, rue des Prouvaires à Paris, pour convenir de leurs conditions d’engagement avec Thomas Porée, marchand et bourgeois de Saint-Malo, et Daniel Boyer, marchand de Rouen. Ces derniers agissent tant pour eux que pour leurs associés au voyage et trafic avec la Nouvelle-France (dite Canada) : Richard Boullain, Corneille de Bellois, Guillaume Le Breton, Lucas Legendre et Louis Vermeullin.

Ces trois engagés parisiens sont :

  • Gilbert Courseron, maçon et tailleur de pierres, demeurant sur la rue des Petits Carreaux, paroisse Saint-Sauveur;
  • Pierre Dutet, maçon, demeurant dans la cour Saint-Éloi devant le Palais [de Justice];
  • Jean Leclerc, maçon, demeurant sur la rue Beaurepaire, paroisse Saint-Sauveur.

Ils promettent de « s’acheminer » de la ville de Paris, le 1er mars 1614, pour se rendre à Honfleur et s’embarquer dans l’un des navires des marchands Porée, Boyer et associés. Arrivés en Nouvelle-France, ils seront tenus de s’employer à leur métier et autres choses « licites et honnêtes » qui leur seront commandées. Ils seront nourris pendant le voyage et leur séjour.

Cette promesse d’engagement est faite pour deux années entières qui commenceront le 1er mars 1614, moyennant un salaire de 18lt par mois pour Gilbert Courseron et 105lt par année pour Pierre Dutet et Jean Leclerc. Chacun recevra une avance, sur leur salaire, de 30lt ou 36lt à leur départ de Paris.

De plus, les trois engagés ne pourront faire aucune traite de pelleteries avec les Premières Nations du pays et, s’il y en a, elle sera confisquée au profit de Porée, Boyer et associés.

Voici le contrat d’engagement de Gilbert Courseron, Pierre Dutet et Jean Leclerc en 1613.

Contrat d’engagement de Gilbert Courseron, Pierre Dutet et Jean Leclerc

pour la Nouvelle-France en 1613

(graphie contemporaine)

Furent présents en leurs personnes Gilbert Courseron, maçon tailleur de pierres, Jean Leclerc et Pierre Dutet, aussi maçons, tous demeurant en cette ville de Paris. Savoir ledit Courseron rue des Petits Carreaux, paroisse Saint-Sauveur; ledit Leclerc rue Beaurepaire, en ladite paroisse, et ledit Dutet dans la cour Saint-Éloi devant le Palais. Lesquels ont promis et promettent aux sieurs Thomas Porée, marchant et bourgeois de la ville de Saint-Malo, et Daniel Boyer, aussi marchand demeurant à Rouen, à ce présents et acceptant tant pour eux que pour les sieurs Richard Boullain et Guillaume Le Breton, Lucas Legendre, Corneille de Bellois et Louis Vermeullin, leurs associés, au voyage et trafic par eux entrepris faire en la Nouvelle-France, dite Canada, de s’acheminer de cette ville de Paris dans le premier du mois de mars prochain, pour se rendre en la ville de Honfleur, en Normandie, pour s’embarquer audit lieu dedans les vaisseaux desdits sieurs Porée et Boyer et leurs associés, pour aller en ladite Nouvelle-France, dite Canada. Et étant arrivés audit lieu, seront tenus et promettent lesdits Courseron, Leclerc et Dutet s’employer en leur exercice et de toutes autres choses licites et honnêtes qu’il leur sera commandé par ceux qui auront charge de les commander audit pays. Pendant lequel voyage et séjour qu’ils seront audit pays, iceux Courseron, Leclerc et Dutet seront nourris aux dépens desdits Porée, Boyer et associés. Et est faite la présente promesse pour deux années entières qui commenceront audit premier jour dudit mois de mars prochain. Ce moyennant et à la raison, savoir : dix-huit livres tournois de gages par chacun mois pour ledit Courseron, et pour lesdits Leclerc et Dutet à raison de cent cinq livres tournois de gages pour chacun d’eux pour chacun an. Le tout qui leur sera payé par lesdits Porée et Boyer au fur et à mesure qu’ils feront ledit service. Et néanmoins en cas que lesdits Courseron, Leclerc et Dutet, lors du [départ] de cette dite ville de Paris [de payer à] chacun d’eux jusqu’à tente ou trente-six livres tournois, lesdits Porée et Boyer seront tenus leur avancer ladite somme sur les premières           de leurs gages en cette dite ville de Paris. Et ne pourront lesdits Courseron, Leclerc et Dutet faire aucune traite de pelleteries en aucune façon que ce soit avec les sauvages dudit pays. Et en cas qu’ils en fassent aucune, ils consentent dès à présent qu’elle soit et dument confisquée au profit des dits Porée, Boyer et associés. Car ainsi. Promettant. Obligeant chacun en droit soi, lesdits Courseron, Leclerc et Dutet corps et biens. Fait et passé en l’étude du notaire soussigné, le mardi après-midi 26e jour de novembre mille six cent treize. Lesdits Courseron, Porée et Boyer ont signé, et lesdits Leclerc et Dutet ont déclaré ne savoir signer. Ledit Dutet qui a fait sa marque. Signatures

Extrait. Contrat d’engagement de Gilbert Courseron, Pierre Dutet et Jean Leclerc pour la Nouvelle-France. 26 novembre 1613.
(Source : ANF. Étude LIX-68. Notaire Noël Le Semelier. 26 novembre 1613. Reproduction : BAC en ligne. Héritage. Minutier central des notaires de Paris. MG3-111. Bobine F-764. No Mikan 2397270)

Qui sont ces engagés de 1613 ?

Gilbert Courseron Jean Leclerc
Pierre Dutet
Tableau des engagés levés pour Québec en 1613.
(Source : Collection Guy Perron)
Origine des engagés levés pour Québec en 1613.
(Source : Collection Guy Perron)

Les trois engagés sont originaire de l’Île-de-France.

Ils quittent Honfleur pour la Nouvelle-France probablement à bord du navire de François Gravé, qui est le seul à destination de Québec en 1614.

Honfleur vu du Ciel.

Que sont-ils devenus ?

Deux engagés (75 %) retournent en France dès leur engagement terminé (1615) ou peu après : Dutet et Leclerc.

Un engagé (25 %) reste en Nouvelle-France : Courseron.

COURSERON, Gilbert

(     –     )

Demeurant sur la rue des Petits Carreaux, paroisse Saint-Sauveur, à Paris (Île-de-France), Gilbert Courseron s’engage à Thomas Porée, Daniel Boyer et associés, le 26 novembre 1613, pour aller travailler en Nouvelle-France, durant deux ans, à titre de maçon et tailleur de pierres, à raison de 18 livres par mois (avance de 30 ou 36 livres). Il signe. Il quitte Honfleur en mars ou avril 1614 probablement à bord du navire de François Gravé à destination de Québec. Il est encore à Québec, en 1621, puisqu’il est désigné lieutenant du Prévôt.

À noter que le salaire de Courseron est particulier. En 1613, il est de 18 livres par mois, soit 216 livres par année. Or, ce montant est disproportionné, pour un maçon même tailleur de pierres. En réalité, écrit Gervais Carpin, bien que le contrat ne le mentionne pas, Courseron pouvait avoir été engagé dès 1613, à titre de lieutenant du prévôt, titre dont témoigne sa signature sur une requête de 1621.

Extrait. Engagement de Gilbert Courseron. 26 novembre 1613.
(Source : ANF. Étude LIX-68. Notaire Noël Le Semelier. 26 novembre 1613. Reproduction : BAC en ligne. Héritage. Minutier central des notaires de Paris. MG3-111. Bobine F-764. No Mikan 2397270)

Voir aussi : Gervais Carpin, « Les migrations vers la Nouvelle-France au temps de Champlain » dans Champlain. La Naissance de l’Amérique française. Sillery, Les éditions du Septentrion, 2004, p. 174.

DUTET, Pierre

(     –       )

Demeurant dans la cour Saint-Éloi devant le Palais de justice, à Paris (Île-de-France), Pierre Dutet s’engage à Thomas Porée, Daniel Boyer et associés, le 26 novembre 1613, pour aller travailler en Nouvelle-France, durant deux ans, à titre de maçon, à raison de 105 livres par année (avance de 30 ou 36 livres). Il appose sa marque. Il quitte Honfleur en mars ou avril 1614 probablement à bord du navire de François Gravé à destination de Québec. Semble repartir pour de bon en France, en 1615, après ses deux années d’engagement.
Extrait. Engagement de Pierre Dutet. 26 novembre 1613.
(Source : ANF. Étude LIX-68. Notaire Noël Le Semelier. 26 novembre 1613. Reproduction : BAC en ligne. Héritage. Minutier central des notaires de Paris. MG3-111. Bobine F-764. No Mikan 2397270)

LECLERC, Jean

(     –       )

Demeurant sur la rue Beaurepaire (aujourd’hui disparue), paroisse Saint-Sauveur, à Paris (Île-de-France), Jean Leclerc s’engage à Thomas Porée, Daniel Boyer et associés, le 26 novembre 1613, pour aller travailler en Nouvelle-France, durant deux ans, à titre de maçon, à raison de 105 livres par année (avance de 30 ou 36 livres). Ne signe pas. Il quitte Honfleur en mars ou avril 1614 probablement à bord du navire de François Gravé à destination de Québec. Semble repartir pour de bon en France, en 1615, après ses deux années d’engagement.

Extrait. Engagement de Jean Leclerc. 26 novembre 1613.
(Source : ANF. Étude LIX-68. Notaire Noël Le Semelier. 26 novembre 1613. Reproduction : BAC en ligne. Héritage. Minutier central des notaires de Paris. MG3-111. Bobine F-764. No Mikan 2397270)
Québec et ses environs. 1608.
(Source : Carte de Champlain reproduite dans les Œuvres de Champlain, 1613. BAC en ligne. 3919870)

[1] Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France. Le comptoir 1604-1627, Montréal, Éditions Fides, 1966, p. 205.
[2] L’historien Trudel fournit une liste de noms de quelques associés au fil des ans : Thomas Porée, marchand de Saint-Malo, et son fils, François; Daniel Boyer, marchand de Rouen; Mathieu Deustrelo, marchand de Paris, Pierre Du Gua de Monts, du château d’Ardennes (Saintonge); Lucas Legendre, marchand de Rouen, François de Troyes, sieur de La Chesnaye, de Paris; Louis Vermeulle; Pierre Fermanel; Ezéchiel de Caën; Corneille de Bellois; Guillaume Lebreton; Richard Boullain; Julien Artur; Arnould de Nouveau. Marcel Trudel, op. cit., p. 207.
[3] ANF. Étude LIX-68. Notaire Noël Le Semelier. 26 novembre 1613. Reproduction : BAC en ligne. Héritage. Minutier central des notaires de Paris. MG3-111. Bobine F-764. No Mikan 2397270)

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