373 – Les engagés levés par Pierre Le Sueur pour le Mississippi en 1698

À La Rochelle, en 1698, la levée d’engagés pour l’Acadie, le Canada et le Mississippi est l’affaire des recruteurs suivants : Recrutement - Le blogue de Guy Perron

  • Louis-Hector de Callière, gouverneur de Montréal (Montréal);
  • Louis-Joseph Le Gouès de Graye, capitaine d’une Compagnie franche de la marine (Canada);
  • Charles Le Moyne de Longueuil, capitaine d’une Compagnie de la marine (Canada);
  • Pierre Le Sueur, bourgeois et marchand de Montréal (Mississippi);
  • Benjamin Paquinet, capitaine de navire, et Abraham Aubier, maître et constructeur de navire (Acadie);

Natif d’Hesdin (Artois), le marchand bourgeois montréalais Pierre Le Sueur en est à sa première de deux levées d’engagés pour le Mississippi (1698, 1699).

UN PEU D’HISTOIRE
Donné des Jésuites, Pierre-Charles Le Sueur (1655-1704) est envoyé au sault Sainte-Marie, mais ne demeure pas longtemps sous l’autorité des missionnaires. Explorateur, il se lance dans la traite des fourrures avec les Sioux du haut Mississippi et s’attire l’amitié des amérindiens. En 1689, il assiste à la cérémonie de prise de possession des territoires sioux par Nicolas Perrot. En 1690, il épouse Marguerite Messier, parente avec Pierre Le Moyne d’Iberville. Le gouverneur Frontenac lui confie la mission d’établir un poste chez les Sioux en 1693. Sa maîtrise des dialectes sioux et sauteux et sa connaissance du haut Mississippi lui permet de jouer un rôle diplomatique auprès des amérindiens. Il est le premier Blanc à explorer la vallée de la rivière Minnesota.
Signatures de Pierre-Charles Le Sueur. 1698
En 1697, Le Sueur propose à Louis XIV d’établir un poste permanent chez les Sioux en signalant les avantages qu’offrent les mines de plomb et de cuivre de la région, le commerce lucratif des fourrures et le bois pouvant servir à la construction. Le 21 mai 1698, il obtient la permission « de se transporter au lieu où il a fait ledit établissement, avec le nombre de cinquante hommes, soit de France, soit de la colonie, pour ouvrir lesdites mines et les faire valoir pendant le temps et espace de cinq années. » Cependant, il lui est strictement interdit de faire la traite des peaux de castors. Ce permis est révoqué le 27 mai 1699 lorsqu’on s’aperçoit que « les choses avancées » en mai 1698 étaient sans fondement.
 
Pendant son séjour en France, Le Sueur donne des renseignements à Guillaume Delisle qui les incorpore dans l’une de ses cartes. Il forme la Compagnie des Sioux dont Iberville est membre. En 1699, il engage des artisans à La Rochelle et accompagne Iberville dans sa seconde expédition en Louisiane. Il est à bord du navire Le Pélican à destination de la Louisiane, qui doit faire escale à La Havane (Cuba) où il attrape la fièvre jaune. Il y meurt le 17 juillet 1704 et est inhumé dans l’église de San Cristóbal.   
 
Pierre-Charles Le Sueur est considéré comme l’un des grands explorateurs de l’Amérique du Nord au point d’avoir une ville et un comté à son nom dans le Minnesota. 

L’enrôlement des deux travailleurs s’effectue le samedi 14 juin dans l’étude du notaire rochelais Pierre Soullard pour convenir de leurs conditions d’engagement.

Le premier engagé est le garçon arquebusier rochelais Yves Pinet (22 ans). Il est suivi par le garçon taillandier breton Henri Picoron (21 ans).

Chaque engagé décline ses prénom et nom, son lieu de naissance et sa profession. Le notaire écrit le salaire annuel (entre 100 et 200 livres) et une avance est accordée (entre 60 et 70 livres) pour avoir des habits. Un engagé appose sa signature.

Les engagés promettent d’aller servir Pierre Le Sueur, ou autre personne le représentant, au pays de Mississippi ou autres lieux qu’il jugera à propos. Ils serviront non seulement de leur profession mais en toutes choses raisonnables qui leur seront commandées. Leur passage est aux frais de l’engagiste pour l’aller seulement qui va les nourrir et loger « à la manière dudit pays » pendant trois années.

Pour s’assurer de leur embarquement, les deux engagés soumettent une caution, probablement leur employeur rochelais : Pinet (Jacques Villier, maître arquebusier) et Picoron (Damien Madré, maître taillandier).

Voici le contrat d’engagement entre Pierre Le Sueur (l’engagiste) et Yves Pinet (l’engagé) en 1698.

Engagement de Yves Pinet à Pierre Le Sueur.
(graphie contemporaine)
Par-devant le notaire royal à La Rochelle, a été présent en sa personne Yves Pinet, garçon arquebusier, natif de cette ville, âgé de vingt-deux ans. Lequel s’est volontairement engagé par ces présentes au sieur Pierre Le Sueur, bourgeois et marchand de Montréal en la Nouvelle-France, acceptant pour l’aller servir ou autres le représentant au pays de Mississippi, ou autres lieux que ledit sieur Le Sueur jugera à propos de sa dite profession d’arquebusier, qui a dit bien savoir pour faire un fusil pendant trois années consécutives qui commenceront au moment que ledit engagé mettra pied à terre audit pays de Mississippi et sera en état de servir. Durant lequel temps, il servira non seulement de sa dite profession mais encore en toutes autres choses raisonnables qui lui seront commandées soit audit pays ou en tel autres endroits que bons sembleront audit sieur Le Sueur. Au moyen de quoi, il sera nourri et logé à la manière du pays, défrayé de son passage en allant seulement. Et pour y parvenir, s’embarquera au premier mandement dudit sieur Le Sueur en le navire qu’il lui indiquera. Ces présentes faites moyennant et à raison de deux cents livres par chaque an qui fait pour lesdits trois ans six cents livres, payable audit engagé en argent de France audit pays à mesure que ledit service se rendra; ledit sieur Le Sueur lui ayant présentement avancé la somme de soixante livres pour lui avoir des habits. Et pour sureté de ladite avance et autres conditions ci-dessus, a comparu Jacques Villier, maître arquebusier demeurant en cette ville, qui s’est soumis caution pour ledit Pinet et a promis de le faire embarquer pour ledit pays. C’est l’intention des parties qui à l’entretien à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Obligeant leurs biens &. Jugé &. Condamné. Et fait à La Rochelle, étude de moi notaire, après-midi, le quatorzième juin mille six cent quatre-vingt-dix-huit. Présents Jean Pillard et Louis Gaudin. clerc, y demeurant. Signatures
Contrat d’engagement de Yves Pinet pour le Mississippi. 14 juin 1698.
(Source : AD17 en ligne. Notaires René Rivière, Pierre Soullard et François Soullard. 3E1812, fol. 151r)

Qui sont les engagés de Pierre Le Sueur de 1698?

Henri Picoron

Yves Pinet

Tableau des engagés levés par Pierre Le Sueur pour le Mississippi en 1698.
(Source : Collection Guy Perron)
Origine des engagés levés par Pierre Le Sueur pour le Mississippi en 1698.
(Source : Collection Guy Perron)

Un engagé est originaire d’Aunis et l’autre de Bretagne.

Les deux engagés quittent La Rochelle à destination de Québec dans des circonstances inconnues.

Malheureusement, les engagés Picoron et Pinet ne peuvent aller au pays de Mississippi au cours de l’automne. Le 17 décembre[1], ayant pouvoir de Pierre Le Sueur retourné en France, le marchand montréalais Antoine Pascaud leur donne permission de travailler à Villemarie comme ils le font depuis le 17 novembre et ce, jusqu’au 15 juin 1699. Après cette date, s’il est revenu de France, Le Sueur jugera à propos de les faire monter au pays de Mississippi. En vain.

L’engagiste Le Sueur révoque probablement les contrats d’engagement de Picoron et de Pinet, car ils vont former une société qui, après quelques mois seulement, accumulera une dette de près de 800 livres.

Le 22 septembre 1699[2], Pinet loue de Guillaume Gouyau dit Lagarde, pour trois ans, une boutique sur la rue Saint-Joseph à Villemarie, moyennant 50 livres par année. C’est là qu’il passera l’hiver 1699-1700 avec Picoron.   

La société Picoron-Pinet est annulée le 29 mars 1700[3]. Ainsi, Henri Picoron dit Descôteaux reconnaît devoir à Pinet la somme de 380lt 2s 6d pour la moitié des dettes de la société. Ils s’entendent aussi que le soufflet qu’ils ont en commun restera entre les mains de Pinet moyennant la somme de 50 livres qui sera déduite sur celle due par Picoron.

Si l’arquebusier Pinet demeure à Villemarie, le taillandier Picoron prend la direction de Québec.

Que sont-ils devenus ?

PICORON, Henri
(1677-1746)
Fils de Jacques Picoron et de Marie Neau, Henri Picoron est baptisé le 20 février 1677 à Machecoul (Bretagne). Il s’engage (21 ans) à Pierre Le Sueur, le 14 juin 1698, pour aller le servir au pays de Mississippi, durant trois ans, à titre taillandier, à raison de 100 livres par année (avance de 70 livres). Ne signe pas. Il quitte La Rochelle à destination de Québec dans des circonstances inconnues. Son contrat d’engagement est probablement annulé par Le Sueur qui ne peut l’envoyer au pays de Mississippi ni à l’automne 1698, ni en 1699. Il forme alors une société avec l’arquebusier Yves Pinet qui, après quelques mois d’opération, accumule une dette de près de 800 livres. La société Picoron-Pinet est annulée le 29 mars 1700. Picoron prend la direction de Québec et s’engage pour trois ans à Pierre Peïre, marchand bourgeois, comme serviteur domestique taillandier, à raison de 100 livres et un capot par année. Il demeure par la suite chez Pierre Marchand à Québec. Il épouse, le 9 février 1705 dans la paroisse de Saint-Pierre (Î.O.), Marguerite Martin, fille de Joachim Martin et de Anne-Charlotte Petit. De cette union vont naître huit enfants. Elle est veuve de Jean Jollet, décédé le 15 janvier 1698 à l’hôpital général de Boulogne-sur-Mer (Picardie). Dans le contrat de mariage du 25 janvier auparavant (greffe L. Chambalon), il est mentionné que Jollet avait quitté Marguerite et passé en France en 1696 sans lui avoir laissé de biens et qu’elle a été obligée de servir comme domestique depuis ce temps. Pour donner des marques de sa bonté et l’aider à s’établir, l’employeur Peïre fournira à Picoron son enclume, un soufflet et autres ustensiles de forge pendant trois ans. En 1707, Picoron acquiert de Pierre Benoit une terre dans la paroisse Sainte-Famille (Î.O.) qui sera vendue en 1709 à Joseph Gosselin. Trois ans plus tard, Henri Picoron dit Descôteaux loue de la famille Marchand une maison située au faubourg Saint-Nicolas à Québec (1712-1718). Il signe Decoteaux en 1719. En 1724, il engage Louis Coquet dit Lyonnais, serrurier, pour une année. « Descôteaux » est hospitalisé à l’Hôtel-Dieu de Québec les 4 avril (46 jours) et 29 novembre (2 jours) 1726. Alors que son époux est à Saint-Jean-Port-Joli, Marguerite Martin vend à Joseph Méthot, son gendre, la moitié d’un emplacement situé sur la rue Saint-Charles à Québec, acquis des Hospitalières. Henri Descôteaux décède le 15 août 1746 chez Eustache Sylvestre où il est tombé malade en revenant de Québec et s’en retournant à Saint-Jean-Port-Joli, sa demeure ordinaire. Il est inhumé le lendemain dans le cimetière de Montmagny à l’âge de 69 ans (et non 76).
Extrait. Engagement de Henri Picoron. 14 juin 1698.
(Source : AD17 en ligne. Notaires René Rivière, Pierre Soullard et François Soullard. 3E1812, fol. 151)
Acte de baptême de Henri Picoron. 20 février 1677.
(Source : AD44 en ligne. Machecoul. Paroisse La Trinité, BMS. 1677-1678 (janvier). Vue 6/25)

PINET, Yves
(1676-     )
Fils de Pierre Pinet, maître armurier, et de Marie Péloquin, Yves Pinet est baptisé le 30 novembre 1676 à La Rochelle (Aunis). Il s’engage (22 ans) à Pierre Le Sueur, le 14 juin 1698, pour aller le servir au pays de Mississippi, durant trois ans, à titre d’arquebusier, à raison de 200 livres par année (avance de 60 livres). Il signe. Il quitte La Rochelle à destination de Québec dans des circonstances inconnues. Son contrat d’engagement est probablement annulé par Le Sueur qui ne peut l’envoyer au pays de Mississippi ni à l’automne 1698, ni en 1699. Il forme alors une société avec le taillandier Henri Picoron qui, après quelques mois d’opération, accumule une dette de près de 800 livres. La société Picoron-Pinet est annulée le 29 mars 1700. En compagnie du taillandier Joseph Parent, il s’engage à Antoine de Lamotte-Cadillac, capitaine et commandant le fort Pontchartrain à Détroit, le 9 mars 1706, pour aller y travailler durant trois ans, à titre d’armurier ainsi qu’à la brasserie qui sera faite. Ils font assurément partie des 216 personnes que Cadillac fait venir à Détroit en août 1706. À l’été 1708, François Clairambault d’Aigremont, subdélégué de l’intendant, est choisi pour procéder à une enquête sur la gestion des postes de l’Ouest, particulièrement l’établissement de Détroit. L’enquêteur affirme que Cadillac montre une avidité sans borne envers tous les habitants de Détroit, en exigeant des redevances outrancières des gens de métier, dont Pinet, qui veulent exercer leur profession. Dans son rapport au ministre concernant sa mission d’inspection dans les postes avancés, d’Aigremont constate que « du nommé Pinet, armurier, Cadillac exige 300 livres par année et lui doit réparer douze fusils par mois et quelques ouvrages. » Selon lui, douze fusils par mois font 144 fusils par année, à une pistole chacun (10 livres), cela monte à 1 440 livres. En ajoutant les 300 livres, Cadillac retire la somme de 1 740 livres sur le travail de l’armurier Yves Pinet. Aucune trace de cet engagé par la suite.  
Extrait. Engagement de Yves Pinet. 14 juin 1698.
(Source : AD17 en ligne. Notaires René Rivière, Pierre Soullard et François Soullard. 3E1812, fol. 151r)
Acte de baptême de Yves Pinet. 30 novembre 1676.
(Source : AD17 en ligne. GG352. La Rochelle. Paroisse Saint-Jean-du-Perrot. BMS. 1668-1680. Vue 233/302)
Voir aussi. BAC en ligne. Fonds des Colonies. Série C11A., Correspondance générale, Canada, fol. 36. Rapport de François Clairambault d’Aigremont au ministre. 14 novembre 1708.

Extrait. Carte de la rivière de Mississippi sur les mémoires de Mr. Le Sueur […]. 1702. Guillaume Delisle, cartographe.
Légende : premier fort (A), deuxième fort (B), Fort Le Sueur en 1695 (C).
(Source : Archives du Dépôt des cartes et plans de la marine, Paris (France). Library of Congress. https://www.loc.gov/item/2003623098)

Pour citer cet article

Guy Perron©2023, « Les engagés levés par Pierre Le Sueur pour le Mississippi en 1698 », Le blogue de Guy Perron, publié le 7 novembre 2023.


[1] BAnQ en ligne. Notaire Antoine Adhémar de Saint-Martin. 17 décembre 1698.

[2] BAnQ en ligne. Notaire Antoine Adhémar de Saint-Martin. 22 septembre 1699.

[3] BAnQ en ligne. Notaire Antoine Adhémar de Saint-Martin. 29 mars 1700.

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