229 – L’expédition du navire L’Espérance de Québec pour le Canada en 1671

La flotte de 1671 à destination de Québec et Percé est composée de sept navires : six de La Rochelle (L’Amitié, La Plume d’Or, La Sagesse, L’Espérance, L’Espérance de Québec et Le Prince Maurice) et un de Dieppe (Le Saint-Jean-Baptiste).

Le navire L’Espérance de Québec (300 tx), est la propriété de Charles Aubert de La Chesnaye et Charles Bazire, marchands de Québec.

Les préparatifs

Le 8 avril 1671[1], un contrat de charte-partie[2] intervient entre le marchand rochelais Antoine Allaire, au nom de Charles Aubert de La Chesnaye et Charles Bazire, propriétaires du navire L’Espérance de Québec (300 tx), et Tharé Chaillaud, capitaine, concernant le frètement du navire pour un voyage de pêche à l’île Percée et autres lieux circonvoisins.

Le navire est muni et équipé de toutes ses voiles, câbles, ancres, cordages et autres apparaux servant à sa navigation avec suffisamment de victuailles (pain, vin, lard, etc.) pour la nourriture du capitaine et de son équipage composé de soixante hommes.

À l’île Percée, ils s’emploieront à faire la pêche et sècherie du poisson sec jusqu’à l’entière charge du navire.

Les trois quarts de la pêcherie reviendront aux propriétaires du navire et l’autre quart à Chaillaud et son équipage pour leurs salaires. De plus, chacun d’entre eux auront cinquante livres de morues et la moitié des huiles et rabes[3] qu’ils pourront en retirer.

Le navire est aussi chargé de marchandises reçues d’Antoine Allaire qui devront être délivrées par Chaillaud à celui qui aura les ordres des propriétaires du navire à l’île Percée.

Extrait. Contrat de charte-partie pour l’expédition du navire L’Espérance de Québec à Percé. 12 juin 1671.
(Source : AD17. Notaire Pierre Teuleron. 3E1309, fol. 47)

Le départ

Le navire L’Espérance de Québec quitte La Rochelle le mercredi 15 avril et arrive à l’île Percée le lundi 25 mai suivant.

De l’équipage, au nombre de soixante, nous connaissons :

  • Tharé Chaillaud, capitaine, de La Tremblade
  • Isaac Loubard, maître de chaloupe, d’Arvert
  • Lucas Marchandeau, maître de chaloupe, de l’Île d’Yeu
  • André Daguerre, charpentier, de Saint-Jean-de-Luz
  • Joannis de Turbide, charpentier, de Saint-Jean-de-Luz
  • Adam Billon, matelot, de La Rochelle
  • Louis Auriau, matelot

Sur les sept navires, six partent de La Rochelle et un de Dieppe. Ils sont :

  • L’Amitié, de La Rochelle (capitaine Pierre Gentet);
  • La Plume d’Or (165 tx), de La Rochelle (capitaine Jean Goilin), frétée par Alexandre Petit;
  • La Sagesse de Bordeaux (130 tx), de La Rochelle (capitaine André Chaviteau), frétée par Alexandre Petit;
  • L’Espérance (160 tx), de La Rochelle (capitaine François Thibault), frété par Jean Gitton et autres;
  • L’Espérance de Québec (300 tx), de Québec (capitaine Tharé Chaillaud), frété par Charles Aubert de la Chesnaye et Charles Bazire;
  • Le Prince Maurice (120 tx), de La Rochelle (capitaine Pierre Héraud), frété par Jean Gitton et autres;
  • Le Saint-Jean-Baptiste (300 tx), de Dieppe (capitaine Pierre Guilbaud, frété par Étienne Dhariette et Jacques Lamothe.
Caractéristiques des navires composant la flotte de 1671 à destination de Québec et Percé.
(Source : Collection Guy Perron)

À 300 lieues de La Rochelle, le navire subit le mauvais temps. Un vent d’ouest « à tourmente » brise leur vergue d’artimon et défonce la grande voile. Dès le commencement de leur pêche à l’île Percée, un matelot de l’équipage, nommé Louis Auriau, ne veut pas travailler et faire son devoir à pêcher comme tous les autres. Il abandonne le navire et s’enfuit dans les bois !

Malgré ses tentatives pour retenir Auriau et l’obliger à travailler, le lendemain de son absence Chaillaud demande aux Sauvages du lieu d’aller le chercher. Après trois mois et neuf jours, un Sauvage le ramène à bord, mais la pêche est terminée !

Cette absence cause une perte de 300 à 400 quintaux de morues, car cela a empêché Chaillaud d’équiper une chaloupe de plus pour faire la pêche.

Plan de la rade de l’île Percée / Le Moyne. 1687.
(Source : gallica.bnf.fr)

Pendant cette pêche, une grande tempête coupe un des quatre câbles et fait perdre leur ancre. La mer est si agitée que le vent pousse le navire sur un autre navire, La Thérèse du Havre de Grâce, qui mouille près d’eux. Leur mât de misaine de devant et la vergue du mât se fracassent avec le beaupré et l’éperon et toutes leurs garnitures.

Le navire se brise du côté bâbord à fleur d’eau de telle sorte que pour l’empêcher de le perdre, les membres de l’équipage sont contraints de fermer les ouvertures avec deux peaux d’orignaux. La tempête terminée, tous s’affairent à réparer le navire.

Le mauvais temps cause la noyade de deux membres de l’équipage qui sont dans l’une des chaloupes qui revenait à terre : Lucas Marchandeau, maître de chaloupe, de l’Île d’Yeu, et André Daguerre, charpentier, de Saint-Jean-de-Luz. Les neuf autres membres de l’équipage de la chaloupe ont fait leur possible pour les sauver.

Le travail sur l’échafaud et la grave.
(Source : D’après le Traité général des pesches, par Duhamel du Monceau dans Encyclopédie, planches des pêches, Paris, Éditions Panckoucke, 1793)

Ce mauvais temps fait aussi perdre neuf de leurs chaloupes avec leurs garnitures de mâts, voiles, grappins, câbles, etc. La mer emporte leur échafaud sur lequel il y avait 800 morues vertes et 3 000 poissons secs, ainsi que dix barriques d’huile de poisson, la valeur de six muids de sel, deux voiles de misaine qui couvraient l’échafaud et des ustensiles de pêche (couteaux, gaffes, piquets, haches).

Le retour

Constatant qu’il est impossible de continuer leur pêche dans de telles conditions, le capitaine Chaillaud décide de rentrer en France avec leur pêcherie (80 000 poissons secs et 2 000 morues vertes).

Le navire L’Espérance de Québec lève l’ancre le lundi 28 septembre. Sur le retour, le mauvais temps survient de nouveau. Chaillaud craint la perte de quelques poissons « gâtés » par la tempête. Le navire fait son entrée dans les rades de La Rochelle, le samedi 7 novembre suivant.

Trois jours plus tard[4], Tharé Chaillaud (capitaine), Isaac Loubard (maître de chaloupe), Joannis de Turbide (charpentier) et Adam Billon (matelot) se présentent devant l’Amirauté de La Rochelle pour faire état des événements survenus pendant le voyage du navire L’Espérance de Québec. Chaillaud, Loubard et Billon signent leur déclaration.

Extrait. Rapport de Tharé Chaillaud, capitaine, et autres concernant le voyage du navire L’Espérance de Québec à Percé. 10 novembre 1671.
(Source : AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5670, fol. 377 et 378 (anciennement pièce 298)

 


[1] AD17. Notaire Pierre Teuleron. 3E1309, fol. 47. 8 avril 1671.
[2] Une charte-partie est un acte constituant un contrat conclu de gré à gré entre un fréteur et un affréteur, dans lequel le fréteur met à disposition de l’affréteur un  navire. Le nom vient de ce que le document était établi en deux exemplaires que l’on découpait par le milieu pour en remettre deux moitiés à chaque partie. Mémoire d’un port. La Rochelle et l’Atlantique XVIe-XIXe siècle. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle, 1985, p. 25.
[3] Les œufs de morues, salés et mis en barrique.
[4] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5670, fol. 377 et 378 (anciennement pièce 298). 10 novembre 1671.

Laisser un commentaire