377 – Les évadés des tours de La Rochelle en 1684

À l’automne 1684, deux évasions se produisent successivement dans les tours Saint-Nicolas et de la Chaîne à La Rochelle. C’est à l’Amirauté que revient la tâche d’enquêter car, outre de s’occuper des affaires maritimes, elle assure la police des ports sous sa juridiction.

Extrait. Coupes, profils et élévations des tours de la Chaîne et Saint-Nicolas.
(Source : Médiathèque La Rochelle Agglo en ligne. Recueil de divers plans de La Rochelle et lieux circonvoisins / [Joseph-Nicolas Bournaud, copiste]. 1750)

Lundi, 23 octobre[1]. Sept heures du matin. Le procureur du roi, Adrien du Bouchet sieur de Crésançon, prend acte qu’un Espagnol s’est évadé de la tour Saint-Nicolas, la veille, sur les six à sept heures du soir. Il y était prisonnier avec huit autres compatriotes repris en mer.

Le juge de l’Amirauté de La Rochelle, Moïse Louis Delisle sieur de Pallusay, le procureur du roi et le greffier se rendent sur les lieux pour dresser un procès-verbal de l’évasion de l’Espagnol « et savoir de la manière qu’il s’est sauvé ». 

Voulant entrer dans la tour Saint-Nicolas, ils trouvent des habitants qui y font la garde et demandent Jacques Faure, le concierge, qui s’empresse de venir à eux. Selon Faure, l’Espagnol, nommé Michel Delcayago, jetait des immondices et matières fécales faits par les Espagnols lorsqu’il sauta par-dessus un baquet[2] qui en était plein et passa par une porte ouverte sur la grave au pied de la tour où on a l’habitude d’y jeter les immondices.

Malgré la présence de quatre mousquetaires pour défendre la tour, ils n’ont pu empêcher l’Espagnol de se sauver vers la muraille, étant trop éloigné pour tirer en sa direction et hors de portée des mousquets. L’évadé se jette dans le canal (fossé) et se sauve sur le pavé de Saint-Nicolas en courant de toutes ses forces.

Illustration. Évasion de Michel Delcayago, espagnol, de la tour Saint-Nicolas. 22 octobre 1684.
(Source : Collection : Guy Perron)

Le procureur du roi ordonne l’audition des quatre soldats : le caporal Alexandre Suire (31 ans), saunier, et les soldats Barthelémy Boisseau (35 ans), voiturier, Pierre Texier (19 ans), laboureur, et Louis Noblet (46 ans), crocheteur, tous de La Rochelle. Ils font partie d’une des Compagnies de milice de la ville, commandée par le notaire royal René Rivière.

Voici leur version des faits. Sur les six à sept heures du soir, la veille, le nommé Laillé, l’un des sergents de la Compagnie, donne ordre à Suire de commander à trois mousquetaires de prendre leurs armes et de descendre avec lui au bas de la tour. Les soldats Texier et Noblet sont postés à la porte qui donne sur la grave pour empêcher les Espagnols de sortir. Le concierge prend deux des Espagnols pour jeter les matières fécales qui étaient dans un baquet au pied de la tour par une porte ouverte. L’un d’eux saute par-dessus le baquet sur la grave, court de toutes ses forces le long de la muraille et disparaît. Voyant que l’autre Espagnol voulait s’esquiver aussi, il est saisi et rentré dans la tour. Les soldats Boisseau et Noblet se rendent sur la grave mais perdent de vue Delcayago.     

Extrait. Déposition d’Alexandre Suire, saunier, de La Rochelle, sur l’évasion d’un Espagnol de la tour Saint-Nicolas. 23 octobre 1684.
(Source : AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe B5682, fol. 97v. Pièce 72)
Intérieur de la salle des gardes dans la tour Saint-Nicolas / Émile Couneau (1838-1920), graveur sur métal. Édité par Imp. L. Fort. Paris. 1906.
(Source : https://mediatheques.agglo-larochelle.fr)

Lundi, 6 novembre[3]. Le procureur du roi prend acte que plusieurs Ostendais (Flandre-Occidentale), détenus prisonniers dans la tour de la Chaîne, se seraient sauvés, la veille, sur les dix à onze heures du soir. Ils étaient dans le navire Le Jardin de Livourne (130 tx) repris en mer par le chevalier de La Harteloise[4].

Le juge de l’Amirauté, le procureur du roi et le greffier se rendent sur les lieux pour y dresser un procès-verbal de l’évasion des Ostendais « et savoir de la manière qu’il se sont sauvés ». 

Devant la tour de la Chaîne, ils trouvent des habitants qui y font la garde et demandent de parler à leur officier qui les fait monter dans une chambre haute de la tour pour y rencontrer le gouverneur de la ville. Ce dernier les emmène dans la chambre la plus haute où étaient détenus les Ostendais. Ils remarquent que les évadés auraient levé des carreaux qui étaient sous une porte donnant vers les galeries, pour ensuite sortir par une petite fenêtre dans laquelle un homme peut passer avec peine. Ainsi, ils auraient fait une corde avec leurs chemises et autres habits telle que montrée par le concierge de la tour.  

À la demande du gouverneur, le juge, le procureur du roi et le greffier descendent dans la chambre la plus basse de la tour de la Chaîne pour interroger quelques Ostendais qui n’ont pu se sauver : Jean Lamquès (27 ans), bossman, et Robert Reutel (28 ans), matelot, tous deux membres de l’équipage du navire La Notre-Dame-de-Grâce, d’Ostende, armé en guerre. Leurs dépositions sont prises avec l’aide de l’intereprète Étienne Peluchon, l’un des gardes du gouverneur, qui connaît bien les langues française et flamande.

Illustration. Évasion de plusieurs Ostendais de la tour de la Chaîne. 5 novembre 1684.
(Source : Collection : Guy Perron)

Voici leur version des faits. Sur les dix à onze du soir, la veille, quelques Ostendais organisent un complot pour se sauver. À cet effet, ils lèvent des pierres au-dessous de la porte allant de leur chambre où ils sont renfermés dans les galeries de la tour. Ensuite, ils font une corde avec leurs chemises et autres choses de leur habillement et l’attache à un bâton trouvé sous les lits de la chambre. Les malfrats mettent le bâton au travers de la fenêtre par laquelle vingt-deux Ostendais se sauvent. Trois ou quatre autres Ostendais en font autant par une autre petite fenêtre, toujours avec l’aide d’une corde confectionnée avec des écharpes reliées ensemble. Malheureusement, cette corde se brise et un Ostendais se casse le cou en chutant contre la pierre. Il fait tout de même quelques pas jusqu’au chenal qui traverse le havre, mais s’y noie.

À une heure du matin, trois prisonniers (dont Lamquès et Reutel) sont rattrapés par la patrouille dans les rues de la ville et ramenés dans la tour de la Chaîne. Parmi les évadés, quatre ou cinq sont originaires de Saint-Sébastien (Espagne).

Apprenant que le cadavre de l’homme noyé surgit dans le chenal, le procureur du roi et le sieur Godeau, chirurgien de la marine, se rendent sur les lieux pour y dresser le procès-verbal de son état. Le corps est retiré du chenal par trois ou quatre hommes, mis sur des planches et porté à terre.

Le noyé se nomme Martin Martelarre (35 ans), un catholique d’Ostende. Il était sergent dans le navire La Notre-Dame-de-Grâce.

Le procureur du roi constate que le cadavre est couvert d’un vieil habit tout boueux. Il a les cheveux châtains et est blessé au front et à un œil.

Après avoir examiné le cadavre, le chirurgien Godeau remarque une fracture à la partie inférieure du coronal où quantité de vaisseaux se sont brisés ainsi que « la substance du cerveau » causant la mort

On trouve dans ses poches la somme de 9 livres en monnaies et quelques papiers. De cette somme est retenue celle de 21 sols (pour les hommes qui ont tiré le cadavre du chenal) et le reste est remis entre les mains du greffier, avec les papiers, qui doit les remettre au curé de la paroisse Saint-Nicolas pour faire enterrer le corps et prier Dieu.

Le 6 novembre, la dépouille de Martin Martelarre est enterrée dans le cimetière paroissial.

Acte de sépulture d’un soldat matelot. 6 novembre 1684.
(Source : AD17 en ligne. 2E312/247*. La Rochelle. Paroisse Saint-Nicolas. BMS. 1684. Vue 17/20)
Le sixième jour de novembre 1684, a été inhumé _
dans le cimetière, le corps d’un soldat matelot pris _
prisonnier de guerre sur un vaisseau ostendais, âgé _
d’environ 43 ans. Lequel a été trouvé noyé dans _
la paroisse de Saint-Nicolas et ont assisté les soussignés. _
 
Signé : Jean Garnier, curé.

Le même jour[5], Guillaume Philippe, prêtre de l’Oratoire, écrit un mémoire de ce qui est dû pour les droits d’inhumation d’un des prisonniers « qui a été trouvé mort dans la mer ».

Mémoire des frais d’inhumation d’un des soldats prisonniers dans la tour, trouvé mort dans la mer. 6 novembre 1684.
(Source : AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5682, fol. 100r (anciennement pièce 73).

Pour citer cet article

Guy Perron©2023, « Les évadés des tours de La Rochelle en 1684 », Le blogue de Guy Perron, publié le 21 décembre 2023.


[1] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5682, fol. 97-99r (anciennement pièce 72). 23 octobre 1684.

[2] Récipient de bois, à bords plats, servant à divers usages domestiques.

[3] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5682, fol. 101-103 (anciennement pièce 74). 6 novembre 1684.

[4] François-René de Betz dit « le comte de La Harteloise » (1648-1726).

[5] AD17. Fonds Amirauté de La Rochelle. Documents du greffe. B5682, fol. 100r (anciennement pièce 73). 6 novembre 1684.

4 réflexions sur “377 – Les évadés des tours de La Rochelle en 1684

  1. Danielle Liard

    La Grande Évasion! 😁 Jolis détails, qui m’ont fait penser à cette évasion du 20ème siècle. Merci pour ce croquis d’un fait peu connu.

    Danielle

  2. Karen Fontaine

    Thank you, Mr. Guy Perron, for exposing the truth of what life was really like in that time, as this incident brings to light the real people and how they handled a very tough situation in the best way that they could. Their descendants can now rest in Peace knowing the realities of their lives up until that point of final escape be it the end of their life as a free person. The tragedies are exposed, and I thank you for relaying this vital information. I feel the desperation of those in that dire situation.
    They only had one choice and that being live out their lives in prison where relatives new not where they were or risk their lives trying to escape for even a short time of their freedom at a high cost to their lives.

  3. Bernard Laporte

    Merci encore M. Perron de cette reconstitution de la vie de jadis à partir des Archives de l’Amirauté de La Rochelle, de petits détails qui en disent long sur la vie de l’époque. J’aurais bien aimé que les Archives de l’Amirauté de Québec fussent conservés !
    Bernard Laporte

    1. Karen Fontaine

      Maybe they actually were, but they are not digitalized as yet? France Archives has a lot in their holdings and some pertaining to Quebec too.

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