En 1666, Jeanne Suire se rend à La Rochelle pour faire rédiger son testament et ordonnance de dernière volonté. À la suite de conflits familiaux, elle récidive en 1672, révoquant par le fait même tout testament antérieur.
Fille d’André Suire et de Marie Rault, native de Surgères, elle est la mère de l’ancêtre Daniel Perron dit Suire (1638-1678) né hors mariage de François Peron (1615-1665), marchand-engagiste, bourgeois et avitailleur de La Rochelle.
Ces deux testaments nous révèlent des éléments essentiels à la compréhension des événements survenus au cours des quatre unions de Jeanne Suire :
- en 1638, avec François Peron (fornication)
- en 1639, avec Nicolas Bernard (mariage catholique)
- en 1659, avec Jacques Laurens (mariage protestant)
- en 1670, avec Jacques Sauzeau (mariage protestant)
Le testament de 1666
Épouse de Jacques Laurens, laboureur d’Usseau, près de Sainte-Soulle (Aunis), Jeanne Suire se présente dans l’étude du notaire rochelais Jacques Savin, dans l’avant-midi du samedi 1er mai 1666[1], pour mettre et rédiger par écrit son testament qu’elle va lui dicter.
Dans un premier temps, elle déclare « Quant à mon dit corps, je le délaisse à la sépulture de la terre pour en être inhumé selon l’ordre usité à ceux qui font profession de la religion prétendue reformée comme moi. »
Jeanne n’a pas abjuré la religion prétendue réformée comme sa sœur Judith (1631). Qu’elle ait seulement donné quelques gages de catholicisme au moment de son mariage avec Nicolas Bernard pour revenir ensuite au protestantisme n’est pas un cas exceptionnel à cette époque.

(Source : AD17. Notaire Jacques Savin. 3E2062, fol. 48)
Puis, elle passe aux aveux. D’abord, elle relate les circonstances de la naissance hors mariage de son fils Daniel. « Faisant considération que dans ma tendre jeunesse, le feu sieur François Peron eu par belles promesses ma compagnie charnelle des œuvres duquel serait issu Daniel Peron. Lequel aurait été envoyé par ledit feu Peron, son père, dans le pays de la Nouvelle-France, Île de Canada. »
La consommation charnelle, qui intervient après les promesses, mais avant la célébration du mariage, est traitée comme une fornication[2].
Jeanne ne semble pas avoir perdu tout contact avec François Peron (mort en septembre 1665) et pense toujours à ce fils dont elle est sans nouvelles. Incertaine, elle poursuit : « Et comme j’estime qu’il soit vivant et que c’est mon véritable fils, et qu’il a plu à Dieu me départir quelque peu de biens; lequel de droit après mon décès lui devrait échoir. »
Elle explique ensuite pourquoi il n’y a pas eu de mariage avec François Peron : « Mais que mes parents sont ou seraient mal intentionnés pour lui, j’entends que ledit feu Peron ne m’a épousé et qu’iceux prétendraient ledit bien. » Il semble que les parents de Jeanne ont ignoré Daniel pour se proclamer seuls héritiers d’elle.
Pour y remédier, elle ajoute : « En cas qu’icelui Daniel Peron soit vivant, je lui donne et lègue la moitié de tous mes biens et droits mobiliers et choses réputées de cette nature. »
L’autre moitié est léguée à Louise et Hilaire Laurens, enfants de son mari. Cependant, elle précise que si : « ledit Daniel Peron serait à présent décédé, ou décéderait après moi sans enfant […] je les donne et lègue aux dits Louise et Hilaire Laurens, moitié par moitié, ainsi que ceux ci-dessus à eux donnés et jusqu’à ce que le décès dudit Peron, mon dit fils, soit justifié ou qu’icelui vienne recueillir lesdits biens par moi à lui sus donnés, ou ses dits enfants ou il en aurait, la jouissance en sera faite par ledit Jacques Laurens, mon mari, qui lui en tiendra compte ou à ses dits enfants, et leur payera icelle et non à autres. J’entends que ou il serait décédé sans enfants ou disposition et que justification en fut pleinement faite, je fais don de ladite jouissance à mon dit mari aussi pour l’amitié et affection que je lui porte. »
Cela veut tout dire. Elle exige la preuve du décès de son fils avant que le legs, qui devrait bénéficier aux enfants Perron, aille à Jacques Laurens, son mari.
Le 23 avril 1669, le corps de Jacques Laurens est inhumé dans la paroisse de Sainte-Soulle. Depuis la mort de leur père, Louise et Hilaire Laurens ne sont pas aussi tendres à l’endroit de leur belle-mère. C’est pourquoi, le 14 septembre suivant, elle révoque son testament du 1er mai 1666. En marge, le notaire y rédige les motifs : « Depuis lequel [testament], ils se sont rendus méconnaissants et ingrats, même depuis le décès de son dit mari l’ont très mal traitée. »
N’étant plus dans les bonnes grâces de la famille Laurens, Jeanne Suire (55 ans) épouse le 6 juillet 1670, dans le Château de Dompierre, Jacques Sauzeau, laboureur de Périgny (Aunis), âgée de 54 ans.
Le testament de 1672
Le jeudi 17 novembre 1672[3], elle dicte un autre testament devant le notaire Savin. Reconnaissant le « grand amour, respect, bons et agréables services, secours et assistance et bienfaits » qu’elle lui porte, Jeanne lègue tous ses biens à Anne Sauzeau, sa « fillâtre », fille de Jacques Sauzeau et de Marie Morisset, sa première épouse.

(Source : AD17. Notaire Jacques Savin. 3E2065, fol. 206)
À cette condition : « À la charge par icelle Anne Sauzeau de bailler et payer six mois après mon décès à Daniel Peron, mon fils, demeurant de présent à Québec, pays de la Nouvelle-France, en cas, que pour lors il soit vivant, sinon à ses enfants si aucun il a, la somme de cent livres une fois payée. Et où il serait décédé et n’aurait lors d’enfants, en ce cas ladite somme demeurera et appartiendra à icelle Sauzeau. »
Elle termine ainsi :
« Très doux Jésus, aimable et adorable sauveur,
qui de rien avez tout fait.
Faites-moi miséricorde. »
Testament de Jeanne Suire
17 novembre 1672
Jeanne Suire décède cinq ans plus tard, le lundi 4 octobre 1677, et est inhumée le lendemain dans le cimetière protestant de Bourgneuf.

(Source : AD17 en ligne. I45-61. Dompierre-sur-Mer. Pastoral. BMS. 1669-1684. Vue 103/155)
Du Cinquiesme octobre Audit _ An mil six centz soixante dix sept a ESte _ Enterre au Cimetiere de Bourgneuf Le _ Corps de Jeanne Suire femme de _ Jaques Sauzeau Laboureur demeurant _ a Perigny decedéé Le Jour preceddant _ auquel enterremant ont assiste daniel _ et Salomon Bernardeaux freres mar[ch]ans _ demeurans au bourg dud[it] Bourgneuf _ qui ont desclare Laditte Suire Estre aagéé _ de soixante trois Ans ou environ et ne _ Savoir signer. _ |
Daniel Perron dit Suire n’a jamais pu aller réclamer son héritage de 100lt, puisqu’il va suivre sa mère quelques mois plus tard, en février 1678. Il est peu probable que les enfants Perron-Gargotin aient été avisés de cet héritage par la succession Suire.
Par ces deux testaments, Jeanne Suire dicte d’étonnantes révélations, comme si elle voulait libérer sa conscience : les circonstances de la naissance de son fils naturel, le rapport avec ses parents, les relations difficiles avec les enfants Laurens et la confiance envers sa fillâtre, Anne Sauzeau, pour faire acheminer l’héritage de son fils à Québec.

Légende : La Rochelle (A). Sainte-Soulle (B) et Périgny (C). Endroits importants : Château de Dompierre (D) et Bourgneuf (E).
(Source : Carte de Cassini en couleur, issue de l’exemplaire dit de « Marie-Antoinette » du XVIIIe siècle. https://www.geoportail.gouv.fr)
Pour citer cet article
Guy Perron©2021, « Les testaments de Jeanne Suire (c1615-1677) », Le blogue de Guy Perron, publié le 29 décembre 2021.
[1] AD17. Notaire Jacques Savin. 3E2062, fol. 48. 1er mai 1666.
[2] Pierre Bels, Le mariage des protestants français jusqu’en 1685, Paris, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1968, p. 140-141.
[3] AD17. Notaire Jacques Savin. 3E2065, fol. 206. 17 novembre 1672.
Bravo…
Beau travail de recherche et belle présentation aussi, comme toujours. Bravo.
Danielle
On Wed, 29 Dec 2021 at 17:40, Le blogue de Guy Perron wrote:
> Guy Perron posted: « En 1666, Jeanne Suire se rend à La Rochelle pour faire > rédiger son testament et ordonnance de dernière volonté. À la suite de > conflits familiaux, elle récidive en 1672, révoquant par le fait même tout > testament antérieur. Fille d’André Suire et de Marie R » >
Bon matin Guy
Mes meilleurs souvenirs !
Tu te rappelles Claude Perreault …et nous étions nombreux à suivre ces cours….
Si je ne me …trompe…pas, c’est à partir de ces cours….que tu as commencé à t’intéresser à La Rochelle et à t’y rendes……
Au Québec, nous sommes chanceux de pouvoir profiter de tes recherches, tu es unique!
Mes souhaits de paix, sérénité et santé pour la prochaine année
Gisèle Monarque
Gisèle,
Je n’ai jamais suivi de cours de M. Perreault. Mon intérêt pour La Rochelle remonte à l’école secondaire (vers 1978) où j’ai découvert dans Tanguay, puis Godbout, que mon potentiel ancêtre Perron était protestant de La Rochelle et né hors mariage ! Vers 1980, j’écrivais (papier et non courriel) au Temple protestant de La Rochelle. Lettre reçue par Mlle de Saint-Affrique, sommité du protestantisme rochelais, qui la relaya à Mlle Suzanne Bonniot avec qui j’ai entretenu une enrichissante correspondance généalogique pendant près de 10 ans. Quelle belle aventure !
Quel histoire cette Jeanne Suire !
On ne s’imagine pas tout l’humanité qu’il y avait à l’époque de jeanne.
On s’imagine que l’humanité est arrivé avec l’électricité.
J’ai beaucoup ta nouvelle présentation.
Mon ancêtre aussi. Merci Guy pour cette histoire si bien relatée. La preuve qu’on n’est pas tous issus d’un Tremblay catho de Normandie.
Toujours content de te lire… Tu me diras des nouvelles de Bertrand et Lucille…si c’est possible…Salutations les meilleures.
Jean-Roch Perron